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la bonne volonté de sir Charles Wilson, le procès allait s’engager sérieusement et qu’on ne pourrait sauver Arabi sans un déni de justice qui éclaterait à tous les yeux.

Or, c’est ce que l’état de l’opinion publique en Angleterre rendait singulièrement dangereux. Dès les premiers jours, M. Broadley, qui est aussi journaliste qu’avocat, qui n’est même connu comme avocat que depuis qu’il est journaliste, avait compris que c’était à Londres, non au Caire, qu’il fallait plaider la cause d’Arabi. Il avait donc réuni autour de lui tous les reporters de la presse anglaise, fort nombreux naturellement en Égypte, il leur avait livré un à un tous ses moyens de défense sans leur faire connaître, bien entendu, combien ils étaient faibles, il les avait séduits par cet appât des nouvelles et des scandales auxquels ceux-ci résistent si difficilement, il leur avait fait entreprendre en faveur de son client une campagne de dépêches et de correspondances dont l’effet en Angleterre ne pouvait manquer d’être considérable. Tantôt il laissait entrevoir que le procès d’Arabi serait une grande cause politique dans laquelle le sultan se trouverait compromis, ce qui risquait de porter aux intérêts de l’Angleterre un sérieux dommage. Tant pis ! pour sauver Arabi, tout était bon. Il avait les mains pleines de pièces compromettantes qu’il ne montrait jamais, et non sans cause, mais dont il parlait tellement que tout le monde finissait par y croire. Tantôt c’était le khédive qu’il prétendait accabler sous des témoignages écrasans. Puis il célébrait Arabi ; il promettait aux reporters, ses amis, de les introduire auprès du héros ; il leur en faisait un portrait pittoresque et attendrissant. Arabi, grand patriote fourvoyé, n’avait-il point d’ailleurs ouvert les voies à l’Angleterre, ne lui avait-il pas livré l’Égypte, ne lui avait-il pas appris, avec la formule du parti national, le moyen d’assimiler lentement le pays et d’en expulser tous les étrangers ? Émus par ses discours, intéressés par ses révélations, comprenant à demi-mot ses insinuations, les reporters anglais adressaient immédiatement à leurs journaux des nouvelles fantastiques et des renseignemens étonnans. Sur ces informations trompeuses, l’Angleterre tout entière s’éprenait d’un bel enthousiasme pour le héros vaincu dont elle avait pris la place au Caire. Nulle nation n’est plus sujette qu’elle à ces mouvemens d’opinion ; seulement ils ne se produisent chez elle qu’à bon escient et quand ils sont utiles. Tandis que les Français, tandis que les Italiens avaient admiré à contre sens Arabi au moment où il pouvait faire quelque illusion, et avaient sacrifié à ce culte ridicule les intérêts les plus évidens de leur politique, c’est lorsqu’Arabi n’a plus eu aucun prestige, mais lorsqu’il y a eu réellement profit pour eux à le trouver sublime, que les Anglais ont créé