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brave colonel trouvait en somme peu juste qu’Arabi, outre sa femme, n’eût point son harem tout entier, puisque telles sont les mœurs de l’Orient ; mais le cant britannique l’a toujours retenu, et jamais il n’a osé aller au ministère pour faire une réclamation qui aurait fait rougir les ladies anglaises réunies en si grand nombre au Caire, à quelques pas de la prison d’Arabi.

Voilà par quelles petites scènes comiques M. Broadley préludait au dénoûment fantastique du procès dont il était l’avocat. En même temps, il exigeait pour lui-même le droit de pénétrer dans la cellule de tous les accusés, sans distinction, même de ceux qui n’étaient en rien ses cliens. Il est vrai que beaucoup l’étaient sans le savoir et, partant, sans le vouloir. Si l’un d’eux parlait de choisir un autre avocat ou de n’en avoir aucun, aussitôt on faisait des remontrances au gouvernement égyptien, on lui déclarait que c’était sans nul doute grâce à ses intrigues que M. Broadley n’était pas accepté, et on le menaçait de l’en punir sévèrement. M. Broadley et sir Charles Wilson étaient sans cesse dans la prison ; ils allaient d’un rebelle à l’autre, ils servaient d’intermédiaires et établissaient des communications entre eux. De plus, ils assistaient aux séances de la commission d’enquête sur laquelle ils exerçaient une surveillance constante. Mais ils avaient beau s’employer à prouver l’innocence d’Arabi et de ses complices, la tâche était au-dessus de leurs inventions les plus surprenantes. Les dépositions étaient unanimes, les témoignages écrasans. Les accusés eux-mêmes ne plaidaient guère que la circonstance atténuante de la terreur. « J’ai eu peur de la prison, disait Toulba. — Et moi aussi’, disait Mahmoud-Fhemy. — J’ai craint d’être assassiné, disait Mahmoud-Samy. — J’ai obéi par crainte à la nation, à la chambre des notables et au conseil Orfi, disait Arabi. » Même sous l’énergique impulsion de M. Broadley et au milieu des douceurs d’une existence supérieurement préparée par sir Charles Wilson, les rebelles ne trouvaient ni courage pour avouer leur crime, ni grandeur d’âme pour s’en faire un titre de gloire, ni intelligence pour se sauver. A mesure que s’achevait l’enquête, les conclusions en devenaient plus certaines. A l’unanimité, la commission reconnut les accusés coupables du crime de complicité dans le massacre du 11 juin et dans l’incendie et le pillage d’Alexandrie. Elle alla plus loin encore, car elle déclara qu’ils avaient essayé d’attenter à la vie du khédive. Borelli-Bey, agissant comme avocat de la couronne, fut chargé de résumer ses décisions dans des rapports et des notes devant servir plus tard à dresser les actes d’accusation. On soumit le tout au conseil des ministres, qui, après avoir écarté la tentative d’assassinat contre le khédive, décida que tous les autres chefs d’accusation seraient soutenus devant la cour martiale. Il était donc évident que, malgré l’humour de M. Broadley et