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l’humiliation ; ils se reconnaissaient coupables ; ils faisaient des aveux ; ils imploraient la démence de leur souverain. A peine M. Broadley les eut-il entretenus qu’une transformation radicale apparut en eux. Les uns devinrent arrogans, d’autres cyniques, plusieurs retirèrent les aveux déjà faits, aucun n’en fit de nouveaux ; mais comme il fallait bien expliquer une révolution aussi subite, il fut immédiatement convenu qu’on avait soumis les rebelles dans la prison aux plus odieux traitemens et que, sous la violente pression des sbires du khédive, ils avaient perdu la direction d’eux-mêmes et s’étaient livrés sans : défense à leurs accusateurs. Sir Charles Wilson fut la dupe complaisante de cette première bouffonnerie. On le vit arriver un jour au ministère plein d’une juste indignation. « Eh quoi ! dit-il, vous aviez promis que les accusés ne seraient pas soumis à la torture et vous ; leur en infligez une d’atroce : vous les privez de sommeil ! Toutes les nuits vos soldats marchent dans les corridors de la prison avec de gros souliers qui font un bruit énorme et qui empêchent tout le monde de dormir. Comment voulez-vous qu’après cela les accusés aient des idées nettes, et puissent se défendre avec fruit ? » Le soir même les soldats recevaient des pantoufles et on leur donnait l’ordre de marcher à petits pas. Le lendemain, sir Charles Wilson revient au ministère : « C’est toujours la même chose ! Arabi ne peut dormir. Il est dans une cellule basse, froide, humide, où sa santé court les plus grands risques. » Le soir même, Arabi était transporté dans une cellule élevée, chaude, spacieuse, digne de lui. Le lendemain, sir Charles Wilson revient au ministère : « Vous feignez d’obtempérer à mes recommandations et votre conduite ne change pas. Le matelas d’Arabi est tellement dur qu’il ne peut s’y coucher. » Le soir même, le plus moelleux des matelas de laine était transporté dans le lit d’Arabi. Le lendemain, sir Charles Wilson revient au ministère : « Le matelas est bon, mais Arabi n’a pas de moustiquaire. Les moustiques qui bourdonnent toute la nuit autour de sa tête l’empêchent de recueillir ses idées et de préparer sa défense. » Le soir même, Arabi avait une moustiquaire. Le lendemain sir Charles Wilson revient au ministère : « Oh ! pour le coup, la préméditation est évidente ! Vous ne voulez donc à aucun prix qu’Arabi puisse dormir ? Sa moustiquaire est trouée et les moustiques y pénètrent plus aisément que dans la cellule elle-même. » On changea la moustiquaire. Le lendemain, sir Charles Wilson revient au ministère : « Vous comprenez, Arabi est bien seul ! Il faudrait que sa femme le vît quelquefois, ce serait pour lui un soulagement et une consolation. C’est encore une sorte de torture que de le priver de tous les charmes de son intérieur. » Le soir même, la femme d’Arabi pénétrait dans la cellule du prisonnier. Là s’arrête l’histoire. Sir Charles Wilson ne revint plus au ministère pour se plaindre du sort d’Arabi. Pourtant la légende raconte que le