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Les avocats choisis par lui étaient d’abord M. Marc Napier, puis M. Broadley, un avocat tunisien que la campagne française avait mis en évidence. De M. Marc Napier il n’y a pas grand’chose à dire. Homme très simple et très convaincu, un peu rêveur, parfaitement crédule, il s’est sérieusement imaginé défendre en Arabi un héros et une victime. M. Broadley, on peut l’affirmer sans crainte de se tromper, n’a jamais partagé une pareille illusion ; très différent de son collègue, il n’a vu dans le procès d’Arabi qu’une affaire retentissante qui devait ajouter encore aux bénéfices variés que la Tunisie lui avait rapportées. Profondément obscur jusqu’au commencement des hostilités entre la France et le bey, il avait trouvé le moyen de se faire en peu de mois une véritable réputation. A la suite d’une carrière agitée, Tunis avait été pour lui un lieu de repos ; il le transforma subitement en théâtre à grand orchestre, d’où les éclats de sa voix et de sa plume parvenaient à toute l’Europe. Son talent mordant, sa verve caustique, son esprit plein d’audace et de fantaisie, son absence absolue de scrupules le servirent admirablement. Avocat de Lévy, le protégé anglais qui disputait à une compagnie française la propriété de l’Enfida, il se chargea en outre d’être le conseiller du bey et le correspondant du Times pendant la guerre ; il fit des plaidoyers pour son client, des protestations pour Mohamed es-Sadok, des dépêches pour son journal. C’est à M. Roustan qu’il s’attaqua surtout, dirigeant contre notre ministre une campagne de diffamation dont les radicaux français lui ont emprunté plus tard les injustifiables manœuvres. L’événement lui donna tort : l’Enfida resta à la compagnie française, la Tunisie passa sous la domination de la France. M. Broadley s’en vengea avec éclat dans les colonnes du Times, et dans les pages piquantes, calomnieuses, mais prodigieusement intéressantes d’un livre qu’il intitula, par un dernier trait d’ironie et de malice : the Last Punic War. C’était de son côté et du côté de ses amis et protégés que la bonne foi punique avait surtout brillé. Mais la Tunisie était épuisée, même à cet égard. L’Egypte s’offrit immédiatement à M. Broadley comme champ de bataille pour des luttes nouvelles. J’ignore pourquoi le choix de M. Blunt tomba sur lui et quelles qualités le désignèrent à l’attention du protecteur d’Arabi. Ce qu’il y a de sûr, c’est que nul n’était plus capable que lui de mener à bonne fin, avec une verve endiablée, un entrain merveilleux, un amour instinctif du bruit, une habitude invétérée du scandale, un dédain profond des critiques, une désinvolture invraisemblable, la parodie judiciaire qui allait se jouer au Caire et aboutir au plus extraordinaire des dénoûmens. Dès l’arrivée de M. Broadley, un changement complet s’opéra dans la marche du procès et dans l’attitude des accusés. Ces derniers, je l’ai dit, poussaient au plus haut degré la bassesse et