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solennelles ont duré jusqu’à la prise de Tel-el-Kébir, c’est-à-dire tant qu’elles étaient utiles aux intérêts anglais. Mais, dès l’instant même où les soldats égyptiens ont fui, à toutes jambes et de toutes parts, autant devant les intrigues des pachas fidèles au khédive que devant les balles de l’armée britannique, un changement à vue s’est produit dans la politique du cabinet de Londres. Du jour au lendemain, sans transition aucune, d’alliée et de mandataire du khédive, l’Angleterre est devenue amie et disciple d’Arabi. Elle a ramassé, sur le champ de bataille de Tel-el-Kébir, son programme taché par le sang des chrétiens et souillé par la poussière des plus honteuses défaites. Les mêmes orateurs qui, peu de semaines auparavant, parlaient de la révolution égyptienne comme d’une insurrection barbare et sans motif, ont commencé à en louer les causes, à en justifier les origines. Ils ont repris, commenté, approuvé toutes les phrases d’Arabi. Les plus creuses, les plus manifestement absurdes ne les ont pas fait reculer. Autant leur générosité s’était enflammée pour le rétablissement de l’autorité légitime du khédive, autant elle s’enflammait maintenant pour le self-government des fellahs. L’Angleterre est admirable sous bien des rapports ; mais, ce qu’il y a de plus merveilleux en elle, c’est qu’elle trouve toujours un principe désintéressé pour servir ses intérêts. C’est ainsi qu’elle combat, dans le monde entier, contre l’esclavage, à seule fin de s’emparer de la direction des peuples esclavagistes ; c’est ainsi également, qu’après avoir prouvé son absence complète d’égoïsme et de vues personnelles sur l’Egypte en prenant les armes pour sauver le khédive, elle a montré les mêmes vertus par la suite en émancipant le fellah, en remettant à cet enfant sans intelligence et sans moralité une autorité politique dont il ne pouvait faire d’autre usage que de la céder à sa bienfaitrice anglaise. S’il ne s’agissait point d’une grande nation et d’une grande politique, on appellerait cela de l’hypocrisie. Mais comment attribuer à l’Angleterre un pareil sentiment ! C’est par un pur don du ciel, par une illumination subite, semblable à celle que ressentit saint Paul sur le chemin de Damas, qu’à la vue des fuyards de Tel-el-Kébir s’abandonnant eux-mêmes et abandonnant leur patrie avec une lâcheté sans exemple dans l’histoire, l’Angleterre a subitement reconnu dans ces masses inertes les caractères d’un peuple libre. Le canon grondait encore, et déjà M. Courtney, secrétaire financier de la trésorerie, déclarait, dans un meeting bruyant, a que ce qu’il fallait surtout à l’Egypte, c’était le self-government qu’il était incontestable qu’on y rencontrait les élémens d’un gouvernement représentatif ; qu’on ne pouvait plus sacrifier les aspirations nationales ni au khédive ni aux créanciers. » Pauvre khédive ! qu’Arabi avait accusé de s’être livré aux Anglais, M. Courtney le prévenait de ne pas se prendre au