Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce mépris des droits des neutres qui ont éclaté depuis dans la diplomatie britannique, cette réprobation générale des entreprises qui, comme le tunnel sous la Manche, devaient augmenter la puissance commerciale et assurer l’avenir pacifique de l’Angleterre, cette sorte de culte exclusif pour la force et les œuvres qu’elle produit, sont des symptômes curieux de l’état d’esprit où sont tombés nos voisins sous un ministère qu’on croyait voué à la timidité et à l’inertie. Une caricature anglaise représentait naguère M. Gladstone occupé à rattacher à son menton la barbe de lord Beaconsfield et à donner à ses traits l’aspect du visage de son prédécesseur. Cette caricature serait-elle par hasard un tableau d’histoire ? et faudrait-il y voir l’expression exacte des sentimens nouveaux d’un homme qu’on se plaisait à regarder comme le plus illustre défenseur des principes de désintéressement international ?


II

Je reviens en Égypte. Comme l’employé du télégraphe l’avait fort bien expliqué à Abdel-Al, l’insurrection était finie, les rebelles étaient prisonniers. Il s’agissait maintenant de savoir comment leur sort serait réglé. C’était la première question qui allait se poser, la première que le gouvernement anglais et le gouvernement égyptien allaient avoir à résoudre pour pacifier et réorganiser l’Égypte. Les dictateurs de la veille étaient devenus dans leur prison singulièrement bas et rampans. Ils ne parlaient plus de leur mission, ils ne se couvraient plus d’un prétendu mandat national ; ils se bornaient à implorer la clémence de leur souverain victorieux, dont quelques semaines auparavant ils avaient proclamé la déchéance avec tant d’éclat. Bien plus, ils applaudissaient à leur propre défaite. L’aplatissement était universel. Le jour de la rentrée du khédive au Caire, de brillantes illuminations célébrèrent la fin de la révolte. Les maisons les plus couvertes de lumières étaient celles des personnes qui s’étaient le plus compromises dans la rébellion. Au Mouski, grande rue franque, jadis si célèbre pour son charme pittoresque et que les embellissement modernes ont gâtée, un grand magasin était tout ouvert et entièrement tendu de rouge ; d’innombrables candélabres et des lustres qui pendaient au plafond l’avaient transformé en une chapelle ardente, au fond de laquelle on apercevait, posée en évidence sur une table chargée de bougies, une mauvaise lithographie du khédive. De chaque côté, une rangée de chaises sur lesquelles se tenaient, en toilette de gala, les propriétaires du magasin, leurs amis et leurs connaissances. De temps à autre, un nouvel arrivant pénétrait dans le sanctuaire, et après une révérence au portrait, allait s’asseoir sur une chaise libre. Cette plate