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chariots d’artillerie et le sourd murmure d’une masse d’hommes se mouvant dans l’espace immense et sonore du désert. Mais les Anglais, sachant à qui ils avaient affaire, s’avançaient pleins de confiance. On ne les aperçut, et la fusillade ne commença que lorsqu’ils furent au pied même des remparts. Le jour se levait, les fortes ombres du matin donnaient aux ouvrages égyptiens l’apparence d’être beaucoup plus formidables qu’ils ne l’étaient en réalité. Ils s’étaient enfin couverts d’une ligne de feux ; seulement les boulets portaient trop loin et les coups de fusil partaient au hasard. En un clin d’œil ; l’assaut réussit. Les Anglais avaient bien jugé la situation. Il n’y avait de soldats égyptiens que sur les redoutes et sur leurs flancs ; les longs espaces des tranchées qui reliaient les ouvrages étaient dégarnis. L’aile droite de l’armée assiégeante, ne rencontrant aucune résistance, pénétra dans la place sans qu’aucun obstacle sérieux l’arrêtât. Arrivée là, elle ne trouva presque plus d’ennemis devant elle ; tout le monde avait fui ; Arabi et ses soldats s’étaient évanouis. « Du haut de la redoute où je montai alors que le combat n’était pas encore terminé, dit le correspondant du Temps que j’ai déjà cité, j’embrassai la plaine entière et je n’y aperçus qu’un cercle de bataillons anglais entourant quoi ? Le vide. Comment une armée de 30,000 hommes avait-elle pu disparaître en un quart d’heure, se fondre pour ainsi dire, rentrer sous terre ou s’anéantir ? Peut-être avait-elle dans ses bagages le tapis magique des contes arabes qui transportait instantanément à l’endroit souhaité ses heureux possesseurs ? Mais il était tout juste assez large pour contenir deux hommes, et Arabi, dont nous connaissons désormais la bravoure, n’eût pas laissé à d’autres un pareil moyen de salut. Je crois donc, pour ma part, qu’il faut réduire à 10 ou 15,000 hommes au plus les 30,000 défenseurs de Tel-el-Kébir dont il est fait mention dans les dépêches anglaises et dans le rapport général. »

Arabi, en effet, avait déserté au premier coup de fusil le champ de bataille sur le tapis magique qu’on appelle de nos jours prosaïquement le chemin de fer. Abandonnant ses troupes dès le début de l’action, il avait fui à toute vapeur pour sauver sa vie. Parvenu au Caire avec deux ou trois soldats d’escorte seulement, pâle, couvert de poussière, il se rendit aussitôt au conseil et parla d’organiser la résistance. On le traita enfin comme il méritait d’être traité : on refusa de lui obéir. Cependant la foule, inquiète, se demandait si l’homme qu’elle venait de voir passer en si triste équipage était un vainqueur ou un vaincu. Les plus perspicaces observaient qu’il n’avait pas dit un seul mot, lui jadis si éloquent, ce qui laissait supposer qu’il n’avait rien de bon à dire. À peine rentré au ministère, Arabi reçut une dépêche d’Abdel-Al, fort anxieux ; dans sa position de Damiette, et qui voulait savoir à tout prix où