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des responsabilités équivaut, au point de vue parlementaire, à une complète suppression. Dans de pareilles conditions, toute discussion sérieuse à propos de l’Algérie devient absolument illusoire. Les sénateurs et les députés restent encore libres, il est vrai, de prendre à partie tel ou tel ministre, son sous-secrétaire d’état ou quelque chef de service sur un détail administratif insignifiant, mais si, au lieu de vouloir traiter quelques points particuliers, ils entendent critiquer d’une façon générale l’excellence des mesures qui, prises isolément par chaque ministre, n’en constituent pas moins l’ensemble du système appliqué à notre colonie, ils ne trouvent plus personne devant eux. De bonne foi, à qui pourraient-ils bien s’en prendre ? Ils sont d’avance assurés d’être infailliblement renvoyés de l’un à l’autre.

Les modifications dont M. Tirman a parlé, lors de son début, avec une certaine complaisance, sur laquelle il est peut-être déjà revenu, n’ont jamais rencontré dans notre colonie qu’une réprobation à peu près universelle. « En vérité, dit un auteur algérien que nous avons déjà eu plaisir à citer parce qu’étranger à la politique, il a gardé envers tous les partis sa libre façon de penser, en vérité, nous ne pouvons approuver ces modifications, car nous ne voyons pas quel profit en retirera l’Algérie. Nos affaires étant divisées entre huit ou dix ministères en seront-elles mieux faites ? Il est impossible de l’affirmer. Elles échapperont au contrôle des Algériens et à l’action du gouvernement général pour tomber souvent entre les mains de fonctionnaires subalternes incapables de résister à des influences parlementaires ou autres… On pourrait trouver un ministre de l’Algérie compétent, mais on ne saurait admettre a priori que le corps des ministres le soit. A tous les points de vue, les décrets de rattachemens sont condamnables. C’est une œuvre mort-née, faite en dehors du parlement, en dehors des Algériens, et nous sommes bien tranquilles sur les suites de l’essai loyal qu’on en veut faire. C’est du temps perdu, voilà tout[1]. » Dans un autre passage de son livre, le même auteur ajoutait que « l’inconvénient de ces mesures était double parce que la solution des affaires en était retardée et parce que cette solution était loin d’être toujours conforme à la logique. Les représentans algériens ne sont que trois au sénat et six à la chambre des députés, et jusqu’à présent ils ont rarement réussi à être écoutés et à faire accepter leurs opinions. Eux-mêmes ne sont pas toujours au courant de questions qui ont parfois changé d’aspect et qu’ils ne peuvent suivre de loin. Enfin ils sont portés, cela est

  1. L’Algérie et les Questions algériennes, par M. E. Mercier, p. 301, édit. De 1883.