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préfet de Constantine estime « que, pour sortir de cette incertitude, il fallait prier l’administration de faire établir, à bref délai, des documens précis propres à fixer l’opinion. » Jusqu’à présent, continue-t-il, « on s’est contenté de nous dire ce qu’on ferait chaque année, sans parler de ce qu’était devenue l’œuvre des années précédentes. » Il serait donc « nécessaire de dresser une statistique complète de la colonisation en Algérie. Cette statistique devrait porter le nom de chaque village créé depuis dix ans, le nombre de feux qu’il comprenait, le nombre des colons évincés avant l’obtention de leur titre définitif, le nombre de ceux qui ont vendu leur propriété après l’obtention de ce titre, le nombre des colons primitifs résidant actuellement, et, enfin, parmi ces derniers, le chiffre de ceux qui cultivent eux-mêmes leurs terres. En ajoutant à ces renseignemens le prix moyen de l’installation d’une famille durant cette période, il deviendra possible de juger des résultats en parfaite connaissance de cause[1]. »

Le secrétaire-général du gouvernement, remplaçant M. Albert Grévy pendant son absence, était loin de convenir de la nécessité d’une pareille enquête ; il paraissait croire que les documens et les chiffres fournis par l’administration suffiraient à mettre le conseil supérieur en mesure de se rendre compte du véritable état de choses. Mais tel n’est point l’avis de l’un des membres élus de ce conseil. « Il était frappé de la complète divergence de vues existant entre le secrétaire-général et les délégués des départemens, divergence qui s’expliquait, en y réfléchissant, par la différence des situations. Nous, les délégués, disait-il, nous vivons dans les provinces, c’est-à-dire dans les parties du pays où la colonisation se commence ; nous y sommes sans cesse en contact avec les populations que nous représentans. Nous assistons à la pénible lutte pour l’existence que soutiennent les colons. Nous entendons leurs plaintes et nous pouvons constater que, si elles sont parfois exagérées, le plus souvent, prises dans leur moyenne, elles sont exactes et fondées. Après avoir vu créer un village, nous assistons quelquefois à son développement, mais souvent aussi à sa non-réussite… Pour un fonctionnaire qui passe sa vie dans un milieu de bureau, c’est dans son cabinet, sur le vu de jolis états bien alignés, qu’il se fait une opinion. Quoi d’étonnant s’il en arrive vite à penser qu’il y a des gens bien difficiles à satisfaire, puisqu’ils ne se déclarent pas tout à fait contens, alors cependant qu’on ferait cette année tant de villages et, l’année d’après, encore beaucoup plus de villages ? Eh bien ! oui, il y a des gens que cela ne contente pas absolument, et nous sommes de ces gens-là, parce qu’il ne suffit pas de faire de la colonisation

  1. Procès-verbaux du conseil supérieur (décembre 1881, p. 312).