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des idées pratiques vraiment libérales et de tous points conformes aux données de nos temps modernes.


La conviction qu’on s’y était toujours mal pris pour attirer et retenir dans notre colonie les immigrans français est si forte chez les vieux Algériens du conseil supérieur, qu’en apprenant l’extension qu’on se préparait à donner à la colonisation officielle, ils redoutent, avant tout, de voir l’administration continuer ses anciens erremens. « Qu’il me soit permis de dire, s’écrie l’un d’eux, délégué du conseil général de son département, que la cause principale de l’échec jusqu’à ce jour de la colonisation doit être attribuée aux créations de villages et surtout au choix des colons. Quand un village est créé, qui prend-on pour le peupler ? Le premier venu, n’ayant le plus souvent d’autre titre à l’obtention de cette faveur que le crédit d’un protecteur ; comme il ne dispose même pas des ressources nécessaires à la création d’un gourbi, il est obligé d’emprunter, généralement à un taux très élevé, pour pourvoir à ses besoins les plus urgens et, dès la première année, le village présente les caractères de la décrépitude, pour disparaître à bref délai[1]… » Que l’on examine l’état des choses dans chaque centre, et l’on verra, continue un autre délégué de département, combien il en reste, comme propriétaires définitifs, de ceux à qui l’on a imposé la résidence. La plupart d’entre eux, sitôt après l’expiration de leurs cinq ans, se sont empressés de vendre leur concession et de quitter le village. Si l’on fait à cet égard une statistique, elle sera curieuse et fertile en enseignemens. On semble craindre que la spéculation ne s’en mêle. Quel inconvénient y aurait-il à cela ? C’est avec la spéculation que l’on fait les grandes choses ; c’est par elle que les Américains sont parvenus à peupler leur immense territoire[2]. »

Dès le début et sitôt qu’elle est mise en mesure de se prononcer sur la préférence à donner soit au système, des concessions gratuites, soit à la vente des terrains, la très grande majorité du conseil supérieur, et particulièrement ses membres élus, inclinent visiblement à trouver la vente préférable : « Il leur semblerait désirable que le colon payât la terre moins cher qu’elle n’aura coûté à l’état, mais qu’il la payât. » Ils entendent laisser au gouverneur-général a la faculté de faire procéder à cette vente, suivant les circonstances. soit par la voie de l’adjudication publique, qui, ayant le mérite de ne laisser aucune place ni à la faveur, ni à l’intrigue, devra être la règle générale, soit à bureau ouvert et de gré à gré. » Ils

  1. Procès-verbaux du conseil supérieur (décembre 1879, p. 441).
  2. Ibid, p. 450.