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s’était concentrée dans le théâtre. L’Italien a le sens inné du spectacle; quand il ne jouit pas de la comédie, il vous la donne. Écoutez-le parler, regardez ses gestes ; la plus insignifiante des anecdotes va lui fournir toute une mise en scène ; à l’emphase de son discours, à sa pantomime, vous rêverez cothurne et char de Thespis. Or, le besoin continu de se repaître d’illusions, cette fiévreuse ardeur qui le pousse vers les planches devaient musicalement le rendre impropre au style symphonique, dont les conditions naturelles sont le silence et la méditation. La musique est de tous les arts le plus sensuel et aussi le plus sentimental, le plus romantique; elle a sa patrie au pays des songes, elle vit de pressentimens, d’infini. Partout où la nature a prodigué ses bienfaits, où la jouissance est facile, où. les sens de l’homme trouvent à se contenter dans le réel, la musique en sera pour la perte d’une ses plus nobles attributions : celle de nous enlever vers une autre sphère. Et pourquoi changer en effet? Pourquoi l’idéal, pourquoi l’oubli, pourquoi le rêve quand on nage dans la plénitude de l’être? J’ai lu quelque part que l’habitude d’avoir toujours les plus beaux paysages devant les yeux a fait que les Suisses n’ont point eu de paysagistes. Ainsi pour la musique italienne; la nier serait nier la lumière; elle est le soleil, elle est la joie ; elle ne fut ni ne sera jamais la rêverie.

Prenons-la dans les hasards de l’heure actuelle, interrogeons à la fois sa dégénérescence et ses tentatives de relèvement ; tenons compte de tout, même des difficultés administratives dont se complique la question d’art. Du jour où l’Italie a cessé de produire des chanteurs indigènes devait dater, pour son opéra, une ère absolument nouvelle, ère de décadence d’abord, puis de transformation. Plus de Pasta, de Catalani, de Malibran, plus de Rubini, de Lablache, de Tamburini, de Mario; partant, plus de Rossini, de Donizetti, ni de Bellini. Au bon vieux temps, c’était miracle lorsqu’une voix étrangère parvenait à se faufiler dans le nombre; aujourd’hui, la rareté consiste à voir une troupe italienne qui ne soit pas exclusivement composée de nationaux français, autrichiens, espagnols, suédois ou belges. Qui nous a révélé la Messe de Verdi? La Stolz et la Waldmann, deux Autrichiennes. Autrichienne aussi la Fricci; Espagnol, le ténor Gayarré; Castelmary, Junca, la Donadio, Français et Française. Les barbares règnent partout, — barbares en effet, car ce sont nos mœurs dramatiques, nos outrances et nos cris qui les ont amenés. L’auteur de l’ouvrage que nous parcourons, M. Martin Roeder, attribue à la Forza del destino et à Don Carlos l’intronisation d’un genre de musique en antagonisme complet avec l’opéra national italien. Il est certain que l’action de Verdi a décidé le mouvement, mais eût-il voulu l’enrayer, pense-t-on qu’il aurait réussi ? Avec des chanteurs