qu’un autre soit curé! Hurrah ! Halloh ! Jo, hihaho! Rumdiridi !.. Chœur infernal, je marche en tête. Partons, allons, marchons! »
Une traduction, si fidèle qu’on l’imagine, ne saurait rendre la verve endiablée de ces vers faits pour être hurlés en chœur. Si d’ailleurs on voulait goûter le sel de ses chansons, il faudrait oublier nos habitudes françaises, se transporter sous le ciel brumeux d’Allemagne, se gorger à des banquets copieux de jambons de Mayence et de langues fumées, arrosés de bières lourdes et de vins aigrelets, s’introduire dans une de ces Kneipen, qui sont le home des corporations d’étudians, assister à une de leurs diètes d’ivrognerie officielle. La salle est ornée de devises patriotiques, d’écussons peints, de rapières entre-croisées : un tonneau est placé au milieu, où chacun va puiser ; la chaude atmosphère du poêle, l’acre et suffocante fumée des pipes enveloppe des faces épanouies, aux yeux injectés, aux teints d’écrevisse, des trognes luisantes de buveurs « humant le piot, » vidant d’un trait des brocs d’une capacité profonde. Bons chantres autant que bons ivrognes, en liesse et jocondité, d’une hilarité expansive et contagieuse, ils attaquent chaque couplet à plein gosier et à pleins poumons. Tel est le cadre et tel est le public des chansons de M. Scheffel. Tout le plaisir que des Français, légèrement animés par l’élégance et l’urbanité d’un festin, cherchent dans une causerie à demi-voix, sur un ton décent, avec des dames parées, les Allemands le goûtent dans le vacarme et la cordialité de ces réunions (gemüthliche Kneiperei), non pas seulement la jeunesse oisive, batailleuse et tapageuse, mais aussi les jeunes érudits, historiens, théologiens ; c’est là qu’ils se reposent du labeur de chaque jour et de la paisible monotonie des petites villes universitaires. Ils retrouvent dans ces Lieder, sous des figures burlesques, le sujet de leurs préoccupations familières ; Hildebrand et Haduhrand réjouissent le cœur des médiévistes ; le megatherium et l’ichtyosaure font pâmer de rire les disciples de M. Hæckel. La nuit se passe en joyeux devis, en longues beuveries, en clameurs assourdissantes. Déjà l’aube commence à poindre : troublant le silence matinal de la rue déserte et le sommeil des philistins, maint philologue en goguette, maint naturaliste titubant chante encore à tue-tête ces refrains baroques, d’une voix entrecoupée de hoquets, et dans l’égarement de ses esprits, il a peine à gagner sa modeste demeure, où il va cuver, sur un lit étroit, son vin et ses chansons.
C’est là sans doute une grosse joie, une gaîté de calibre énorme, plus proche de la farce que de l’esprit, mais c’est une gaîté saine et robuste. Le rire de M. Scheffel est un large rire, sans subtilité ni replis, sans aucune de ces arrière-pensées pleines de malice et d’esprit