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en soupirant : « Eût-il terre, castel, et soixante-douze quartiers, serait-il donc plus joli garçon? »

Au bout de quelques années, nous retrouvons le trompette de Säkkingen fixé à Rome. Fidèle à un amour sans espoir, il résiste aux beaux yeux des Romaines et au stylet des bravi, et fait éprouver à l’un d’eux « comme une lame allemande résonne sur un crâne welche. »

Un intermezzo lyrique interrompt en cet endroit la suite du récit épique. Chacun des personnages exprime, dans de courtes pièces, les sentimens secrets de son âme. Plein de mélancolie, Werner rêve à la patrie, à la bien-aimée :


Le soleil plonge dans le Tibre, — Le ciel se couvre d’une dernière rougeur, — Le jour disparaît lentement. — Au loin tintent les cloches du soir : — Je pense à toi, Marguerite.

La tête appuyée sur l’arête du rocher, — Étranger en terre étrangère, — Les vagues écument à mes pieds; — Un rêve traverse mon âme : — Je pense à toi, Marguerite.


Quelques-uns de ces lieder, pleins de sentiment, sont d’exquises petites fleurs de la poésie allemande. M. Scheffel use d’ailleurs sobrement de cette veine de sentimentalisme si familier à l’école de Souabe et parfois si affadi. La trompette de Werner sonne un air martial et fanfaron à travers toute l’épopée.

Bientôt, à bout de ressources, notre héros entre au service du pape Innocent XI et devient maître de chapelle des chanteurs de la Sixtine. C’est en cette qualité que, le jour de la fête des apôtres Pierre et Paul, il traverse Saint-Pierre, conduisant son troupeau languissant d’enfans de chœur efféminés. Au dehors, jaillissent les belles fontaines ; sur les degrés de l’église se pressent tous les grands personnages de Rome. Cette grasse éminence au visage en pleine lune et au double menton, appuyée sur un domestique galonné, c’est le cardinal Borghèse, « ami du classique et du bucolique. » Cet autre, orné d’une chaîne d’or, qui secoue sa perruque comme un Jupiter olympien, c’est le cavalier Bernini. Voici venir Salvator Rosa et près de lui la reine Christine de Suède : tous se pressent sur le passage du cortège papal. Hallebardiers, suisses, capucins, franciscains, cardinaux dont les queues écarlates traînent sur le pavé de marbre, gardes nobles, l’épée nue, précèdent le pape porté sur sa chaise, au milieu des pages qui balancent les longs éventails de plume de paon. Le maître de chapelle bat les premières mesures, le chant de Palestrina retentit; tout à coup, une émotion se produit dans la foule : c’est une femme qui se trouve mal, et cette femme n’est