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qui, se grattant le front avec sa patte, se posait à ce propos des questions embarrassantes :


Pourquoi les hommes échangent-ils des baisers? — Pourquoi sont-ce la plupart du temps les jeunes? — Pourquoi ceux-ci principalement au printemps? — Sur tous ces points, je veux — Demain sur la gouttière — Méditer d’un peu plus près.


Ce premier baiser des amans évoque dans l’imagination du poète une vision paradisiaque :


Je voyais le vieux jardin de la création, — Le jeune monde exhalait — La douce haleine de ce qui vient de naître, — Et ne comptait son âge que d’après les jours, — C’était le soir : une légère vapeur empourprée — Brillait au ciel; dans les ondes, — Le soleil déclinant plongeait; — Sur le rivage, les animaux jouaient, folâtraient, — Prenaient leurs ébats. — A travers les avenues ombreuses des palmiers — S’avançait le premier couple humain. — Silencieux, ils laissaient au loin errer leurs regards. — Dans la paix nocturne de la jeune création, — En silence ils se regardèrent dans les yeux — et échangèrent un baiser. — Une autre vision succède à celle-ci, un sombre paysage — Se dessine peu à peu : — Nuit au ciel, tempête, ouragan; — Les monts se fendent; du sein des abîmes — Les eaux surgissent écumantes. — La vieille terre est inondée. — Elle va périr. — La monstrueuse vague siffle contre le rocher, — Contre le vieil homme et la vieille femme, — Les deux derniers humains. — A la lueur d’un éclair, je les vois, sourians, — S’embrasser, échanger un baiser, — Un baiser muet; la nuit maintenant. — La vague se retire et, mugissante, — Les entraîne à l’abîme.


Le premier baiser une fois pris et rendu, M. Scheffel renonce à compter, « l’amour et la statistique ayant par malheur, dit-il, des rapports tendus. »

Encouragé par de tels gages, le jeune trompette s’enhardit jusqu’à demander au noble baron la main de sa fille. Mais, dès les premières ouvertures, le vieux colonel féodal se hâte d’expliquer à l’humble secrétaire que la fusion des classes et le croisement des races ne donnent comme résultat que des générations abâtardies, qu’une fille de si haut parage ne peut épouser un simple trompette. Le cœur gros, l’amoureux éconduit plia sa légère valise, sella son cheval, sonna une triste fanfare d’adieu et disparut au tournant de la forêt. Déception de la belle et généreuse Marguerite, qui se disait