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vie d’étudiant, M. Scheffel va nous montrer comment les Allemands « s’esbaudissent, » comment ils savent « soy rigouler. »


I.

Joseph-Victor Scheffel est né à Karlsruhe en 1826. Son père, ingénieur de mérite, avait servi dans l’armée badoise, qu’il quitta avec le grade de major, pour occuper d’importantes fonctions dans les ponts et chaussées du duché de Bade. Il mourut en 1869, officier de la Légion d’honneur, à un âge très avancé.

Son fils tenait de lui un goût marqué pour les beaux-arts : mais on le destinait à la magistrature, et le jeune étudiant fréquenta les universités de Munich, d’Heidelberg et de Berlin. Le héros d’un de ses poèmes, auquel il prête selon toute vraisemblance ses propres sentimens, s’exprime en ces termes sur le droit romain :


Droit romain, quand je pense à toi, — Tu me pèses sur le cœur comme un cauchemar, — Sur l’estomac comme une meule, — Ma tête est comme assommée... — Serons-nous donc toujours condamnés — A ronger l’os énorme — Que les Romains nous ont jeté — Comme relief de leur festin? — La fleur du droit national ne doit-elle pas — Fleurir un jour sur la terre allemande?.. — Triste lot des Épigones, — Il faut s’asseoir, il faut suer, — Tirailler de tous côtés les fils — D’un écheveau archi-embrouillé. — N’y a-t-il donc pas une épée et d’autres solutions[1]?


C’est parler en vrai Teuton, partisan du vieux droit allemand, du Faustrecht, ou droit de la poigne. Le temps qu’il pouvait dérober à l’étude des lois, il l’employait à suivre des cours d’archéologie et d’histoire littéraire. Les leçons du professeur Ruth à Heidelberg l’initièrent à la poésie de Dante ; encore étudiant, il fit à Berlin une conférence sur les écrits politiques du Florentin : admiration digne de remarque chez un poète d’une gaité épanouie pour l’une des plus sévères figures du moyen âge.

Ses grades une fois obtenus, M. Scheffel remplit un emploi juridique, de 1847 à 1852, dans la petite ville de Säkkingen, puis à Bruchsal. Déjà, nous dit M. Bartsch, les premiers essais de sa muse étaient goûtés par les sociétés qu’il fréquentait. C’était en versifiant qu’il se consolait de vivre au milieu des paperasses et de la chicane. « Selon mes inclinations et dispositions naturelles, écrivait-il, j’aurais dû devenir peintre ; l’aspiration vers l’art non satisfaite et le

  1. Der Trompeter von Säkkingen, p. 41.