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années[1]. » Les vues de M. Léon Say ayant été adoptées par son successeur aux finances, M. Tîrard, la dotation de ce service demeure bien définitivement fixée à la somme totale de 50 millions répartis entre cinq exercices, soit 10 millions par an.

A prendre les choses simplement et de bonne foi, c’est donc, en réalité, à moins que les ministres ne se dédisent, le projet primitif des 50 millions qui va, suivant toute probabilité, venir prochainement devant les chambres. Nous voudrions l’examiner non pas seulement dans son ensemble, mais dans quelques-uns de ses plus importans détails et au point de vue des moyens pratiques d’exécution.


I

Pour réussir dans une entreprise, la première condition est de se rendre nettement compte du but qu’on se propose d’atteindre. La conquête de l’Algérie n’a pas été de notre part un acte prémédité. La nécessité de venger l’injure personnelle faite à son représentant décida le gouvernement de la restauration à s’emparer, en 1830, de la capitale du dey. A coup sûr, il n’avait pas été insensible à l’honneur d’accomplir la noble tâche, devant laquelle Charles-Quint avait échoué en 1541 et l’amiral Exmouth en 1816, d’affranchir ainsi par un coup d’audace l’Europe entière du honteux tribut que, depuis des siècles, elle payait à ce nid de pirates. Mais, sur l’emploi à faire ultérieurement de leur conquête, les ministres du roi Charles X ne se sont jamais vantés d’avoir eu aucune vue bien précise. Ils n’ont même pas eu le temps de se poser la question de savoir s’ils pourraient faire de l’Algérie une colonie florissante, et cette idée ne semble pas avoir davantage traversé l’esprit de leurs successeurs. Il y a plus : absorbés dans leur rôle exclusivement militaire, les commandans de nos troupes s’appliquèrent, au contraire, jusque vers 1840, à entraver l’immigration soit française, soit étrangère. À cette période d’abstention systématique et d’inertie presque complète succéda peu à peu, quand notre domination devint plus étendue et mieux assise, un mouvement en sens contraire. Au récit de quelques voyageurs, qui avaient devancé, accompagné ou suivi nos colonnes expéditionnaires dans le Sahara, les imaginations s’étaient démesurément exaltées. Elles entrevoyaient déjà écloses et magnifiquement prospères, et espacées de distance

  1. Projet de loi ayant pour objet de mettre à la disposition du ministre de l’intérieur une somme de 37,500,000 francs pour être employée en acquisitions de terres et en travaux de colonisation en Algérie, présenté par MM. René Goblet et Léon Say (session de 1882, séance du 18 juillet).