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l’abbé de Montesquiou et Malouet, et il fixait au lendemain minuit la première réunion. Montmorin répondit au roi que certainement les personnes choisies étaient pleines de dévoûment, mais qu’un comité secret était un danger de plus et ne présentait aucune ressource ; qu’il n’y avait pas de moyens de faire exécuter ses décisions; qu’on ne tarderait pas à s’apercevoir des réunions fréquentes et de leur influence sur les déterminations du roi; que les clubs mettraient alors infailliblement le peuple en insurrection contre le château ; qu’il fallait commencer par s’assurer les moyens de se défendre. Après avoir présenté ces observations, Montmorin se rendit successivement chez l’archevêque d’Aix, chez l’abbé de Montesquiou et chez Malouet. Sans qu’ils eussent pu se concerter, ils firent tous séparément la même réponse que Montmorin. Malouet la lui remit même par écrit ; il revenait à son projet de confédération des départemens et des gardes nationales, en s’appuyant sur la constitution et sur l’autorité défaillante de La Fayette. Il oubliait que les constitutionnels étaient un épouvantail, surtout pour la reine.

Montmorin, en devenant l’ami de Marie-Antoinette, ne devint jamais son vrai confident. Il avait été écarté de ce rôle par son acceptation sincère de la constitution. On se servait de lui vis-à-vis de la révolution : on le tenait à distance quand on s’entendait avec l’étranger. La prédiction de Mirabeau lui traversait alors la mémoire. Il relisait ces lignes que le grand homme d’état avait écrites, dans son désespoir de ne pas être compris : « Le roi et la reine y périront ; la populace battra leurs cadavres. Oui, oui, on battra leurs cadavres! »

A partir d’avril, ni Bertrand de Molleville, ni Malouet, ni Montmorin, ne purent ostensiblement se rendre aux Tuileries. Le château était garni d’espions, et les journaux dénonçaient chaque matin ce qu’on commençait à appeler le comité autrichien. La déclaration de guerre était inévitable; les généraux étaient désignés; les emplacemens des armées fixés. Le 20 avril 1792, date mémorable, les ministres obligèrent le roi à faire usage de son initiative pour aller lui-même à l’assemblée proposer la guerre contre l’Autriche; elle fut votée par acclamation. Montmorin put, à la suite de cette séance, voir Louis XVI. Il lui développa les considérations les plus sages sur l’émigration. Le premier des devoirs était de ne jamais livrer son pays à l’ennemi. La guerre civile, quelque cruelle qu’elle fût, était plus excusable. Mais, en se présentant sous les drapeaux de l’Autriche et de la Prusse, la noblesse devenait étrangère à la France. C’est ce qu’elle ne sentait pas. Montmorin eût compris la Vendée; mais il ne pardonnait pas Coblentz. Cette opinion nettement exprimée à Louis XVI achève de déterminer le véritable esprit politique de Montmorin. Ses paroles laissèrent-elles,