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en Bourgogne. Il dut rentrer à Paris, se présenter à la section de la Croix-Rouge[1]. Un extrait des registres du comité révolutionnaire constate que Montmorin envoya 300 livres pour les pauvres de son quartier et 300 pour ceux de Fontaine-Grenelle. Le 23 janvier 1792, il est obligé de se faire délivrer un certificat déclarant qu’il continue à demeurer rue Plumet.

Dans ce sombre hiver de 1792, pendant que le ministère Narbonne, de Lessart, se débattait entre les folles manœuvres de l’émigration et les irritations croissantes de la révolution, pendant que Bertrand de Molleville, devenu ministre de la marine, essayait de renouer à chers deniers les intrigues subalternes qui, jusqu’alors, avaient été si peu utiles, Montmorin était frappé au cœur dans ses affections.

Son fils le plus jeune, Auguste, partait pour l’Ile de France comme enseigne de vaisseau, ils ne devaient plus se revoir. Un coup de vent, à quelques mois de là, faisait sombrer la barque qui portait Auguste de Montmorin prêt à s’embarquer pour revenir à Brest. Il se noyait avant la fin tragique de sa famille. Il léguait à sa sœur Pauline une étoffe de soie pour une robe de bal, et cette étoffe devait lui servir de linceul. Nous avons la lettre d’adieu du jeune officier de dix-sept ans; elle est datée de décembre 1791[2] : « Vous me dites, mon cher papa, que je suis heureux d’aller dans un pays tranquille; mais quel bonheur puis-je trouver, lorsque je ne sais pas si vous êtes en sûreté!.. J’avais déjà écrit à maman et à mes sœurs. On m’avait appris la plupart des nouvelles que j’ai eues dans vos lettres ; mais on m’avait dit que M. Bertrand était déjà remplacé, et j’ai vu avec plaisir qu’il était encore ministre... Adieu, mon cher papa, n’oubliez jamais votre fils et croyez qu’il ne cessera jamais de vous respecter et de vous aimer tendrement. — AUGUSTE DE MONTMORIN. » En entrant dans la région que Dante appelle inconsolée, la première ombre devant laquelle nous nous inclinons est celle de ce pauvre enfant dont Pauline, sa sœur, écrivait : «Il était aussi courageux que doux, et comme il avait de beaux cheveux blonds ! »

Le 15 mars arrive : de Lessart, le successeur de Montmorin, est mis en accusation et conduit à Orléans. Dumouriez, Clavière et Roland sont ministres. Le roi appelle Montmorin; il lui dit qu’il ne peut considérer comme ses conseillers des hommes qui sont ouvertement ses ennemis[3]. Il se décidait à nommer un conseil secret auquel il abandonnerait la direction des affaires ; il en désignait, comme membres, avec Montmorin, l’archevêque d’Aix, M. de Boisgelin,

  1. Archives nationales, papiers séquestrés.
  2. Ibid.
  3. Mémoires de Malouet, chap. XVIII.