la barque. Nous ajouterons que ce souffle, qui semble à M. Secrétan venir du ciel, doit d’abord venir de la terre : c’est l’humanité que nous devons aimer dans l’homme, non un principe supérieur à la nature. Au lieu de dire, avec M. Secrétan, que l’humanité de fait n’est rien moins qu’aimable, nous dirons : elle est aimable par soi jusqu’en ses misères et ses faiblesses, que la sympathie nous fait partager, que la pitié nous fait soulager : « Tout être qui souffre, disait Schopenhauer, est également près de mon cœur. » L’humanité est plus aimable en son imperfection même qu’une perfection absolue comme celle dont parle M. Secrétan, qui ne serait toute-puissante qu’à la condition de ne pas être parfaitement bonne, ou qui ne serait parfaitement bonne qu’à la condition de ne pas être toute-puissante. Sans doute le moraliste a besoin d’un idéal comme le navigateur a besoin de la polaire; mais la polaire est aussi dans la nature. L’idéal est la nature même modifiée au moyen d’un de ses propres élémens, à savoir la pensée et le cœur de l’homme. C’est une nature plus intelligente, plus puissante, plus aimante et plus heureuse, que nous opposons à la nature trop souvent inintelligente, impuissante, divisée contre elle-même, malheureuse. Ce n’est pas un principe vraiment différent que nous concevons alors : c’est simplement une nature plus humaine.
C’est aussi sur un fondement humain que se constituent la justice, le droit, la liberté de conscience, sans lesquels la charité devient, selon le mot de M. Secrétan, contradiction, mensonge et violence. Bien différente de la simple « tolérance, » la liberté de conscience moderne a son vrai principe dans deux considérations psychologiques et humaines, non dans des spéculations métaphysiques ou théologiques qui risqueraient plutôt de la compromettre. Le premier fondement de la liberté des opinions, que M. Secrétan admet lui-même, est un fait d’expérience : le caractère essentiellement spontané de l’amour et du bonheur. Qu’on accepte ou rejette le libre arbitre au sens où l’entend M. Secrétan, il demeure toujours vrai que l’amour véritable provient de l’intérieur de l’être, soit qu’il tienne d’un déterminisme profond et d’une solidarité naturelle dont il est l’expression sensible, soit qu’il vienne d’une détermination volontaire et d’une solidarité volontaire; dans tous les cas, l’amour ne commence qu’avec la spontanéité. Mais cette première considération ne suffirait pas pour exclure tout emploi de la contrainte si on n’y ajoutait un autre fait d’expérience, qui est en même temps la conclusion rationnelle de toute critique des facultés de connaître : à savoir, la relativité des connaissances humaines. Les moyens de bonheur et d’amour, les moyens de réaliser la société la plus parfaite sont relatifs et objets de connaissance relative. Quant au monde transcendant, nous ne savons de science certaine, comme dit Pascal, « ni s’il