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La psychologie ne donnerait donc pas tort à l’intolérance, comme M. Secrétan semble le croire; et, d’autre part, la morale telle qu’il la représente nous semble offrir ce danger d’une justification possible pour ceux qui auraient l’âme moins élevée que lui ou l’esprit moins éclairé. Le sentiment de l’irréparable excuse tout, justifie tout. L’immensité de la fin réduit à néant tout le reste ; il n’y a plus de commune mesure entre la contrainte d’aujourd’hui et l’éternité. Il faut le reconnaître impartialement : partout où se glissent les idées d’absolu, d’éternel, d’irréparable, en même temps se glisse le péril de l’intolérance. Le fait est vrai aussi, avec les atténuations nécessaires, pour la théologie rationnelle, pour toute métaphysique et toute morale qui prétend à l’absolu. Le dogmatisme, quel qu’il soit, est le commencement de l’intolérance. Quiconque se crût en possession de l’absolu sera toujours tenté d’agir conformément à cette idée, et la seule conduite qui soit vraiment en harmonie avec l’absolu, c’est l’absolutisme pratique. Si un philosophe a une absolue conviction sur le bien absolu, sur le souverain bien, sur le bien final et éternel, comment ne serait-il pas tenté de protéger tous ceux sur lesquels il a une action contre ce qui pourrait leur enlever la possession de ce bien ? Aussi les Socrate et les Platon n’ont-ils jamais penché pour la tolérance. Si donc nous revenons à la définition de l’église véritable telle que M. Secrétan la donne, c’est-à-dire à l’amour sans aucun principe de contrainte, M. Secrétan devrait dire, pour maintenir ce! te définition, que toute société théologique admettant un absolu, un mal absolu, un dam et une séparation complète d’avec l’être infini, une expiation ou sanction absolue, etc., n’est pas une véritable église. Il n’y aurait de véritable église, d’après la définition de M. Secrétan, que l’association philosophique et scientifique, à la condition expresse que toute prétention à l’absolu en fût écartée.

Passons maintenant avec M. Secrétan de la société morale à la société politique ; nous verrons la morale de la charité et de la solidarité,