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au nom de Dieu de ne pas m’éloigner. Elle me raconta qu’elle voulait émigrer, qu’on l’avait fait descendre de wagon à la gare, que des soldats l’avaient assaillie et avaient arraché sa fille d’entre ses mains; qu’un soldat l’avait prise à la gorge et avait tiré son sabre pour la tuer. La mère se jeta sur sa fille pour recevoir à sa place le coup mortel. Les soldats s’occupèrent alors à déchirer ses poches, à voler l’argent qu’elle avait sur elle, qui s’élevait à 10 livres, et ensuite ils se querellèrent pour se le partager. Profitant de cette circonstance, la pauvre dame courut au hasard vers le camp; elle y trouva des soldats qui venaient de tuer un Européen et qui en traînaient un autre pour le tuer. L’un d’eux était le mari de la dame italienne. Voilà pourquoi cette dernière, devenue folle, pressait son enfant dans ses bras en criant : Tu n’as plus de père! tu n’as plus de père !

Tandis qu’on massacrait trois jours de suite à Kafr-el-Dawar, sous les yeux d’Arabi et dans son propre camp, on se préparait à Tantah aux mêmes atrocités. Un certain Youssef-Abou-Dia, capitaine dans le régiment d’Abdel-Al et qui servait d’intermédiaire entre son colonel et Arabi, arriva le 14 juillet. A peine à la gare, il s’écria : « Massacrez les chrétiens, fils de chiens ! Par Dieu ! nous n’en épargnerons aucun, ainsi que nous l’a prescrit notre effendina Arabi. » À ce signal, les désordres commencèrent. A quoi bon les raconter? Les scènes de Tantah furent particulièrement odieuses. De malheureuses femmes, dépouillées de leurs vêtemens, après avoir été violées, durent parcourir toute la ville sous un soleil de feu ; enfin, on les couvrit de pétrole et on les fit brûler. Ailleurs, des chrétiens furent étendus sur les rails du chemins de fer; un train lancé à toute vapeur les broya et les écrasa. D’autres furent donnés en pâture aux chiens. Seuls les habitans du Caire échappèrent à l’assassinat, d’abord parce que la plupart d’entre eux eurent le temps de fuir et de se réfugier à Port-Saïd et à Ismaïlia, et secondement parce que le préfet de police de cette ville montra dans ces tristes circonstances un courage et une fermeté admirables. Partout ailleurs le sang chrétien a été versé. Les Coptes, les Syriens n’ont pas moins souffert que les Européens. Ne fallait-il pas, pour que l’Egypte restât aux Égyptiens, suivant la formule qui n’a pas péri, hélas! dans ces sanglantes tragédies, y massacrer tout ce qui n’était pas strictement arabe et musulman? Les chefs de la révolte en étaient tellement convaincus qu’ils montraient la plus grande sévérité contre ceux dont la charité inopportune sauvait une victime. Ainsi, un certain Menchaoui-Bey avait protégé plusieurs chrétiens des fureurs des égorgeurs de Tantah : « A peine fus-je rentré dans mon village, dit-il, que Toulba me fit appeler à Kafr-el-Dawar