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lui était cher, et les Européens, dont le sort commençait à devenir trop périlleux. Entraînant à sa suite son collègue d’Allemagne, il se présenta chez le khédive et, prenant un ton impérieux qu’on ne lui connaissait pas, exigea la formation d’un ministère où Arabi conserverait le ministère de la guerre et dont le président serait Ragheb-Pacha. Ragheb-Pacha avait été un des derniers serviteurs de l’ancien khédive, mais à la chute de son maître, il était déjà tombé en enfance. Vieux et malade, d’une intelligence affaiblie par l’âge et par la souffrance, ce n’était plus qu’un fantoche auquel personne ne croyait. Qu’il pût sauver l’Égypte dans une circonstance aussi critique que celle où on se trouvait, il fallait avoir toute l’ignorance et toute la présomption de certains consuls pour le croire. Le khédive céda. Ragheb fut déclaré ministre. Le lendemain, quelques personnes se rendant chez lui pour connaître ses projets, il leur dit gravement : « Je songe au salut de l’Égypte et je crois l’avoir trouvé. Le pays a besoin d’une constitution. Ne pensez-vous pis que la constitution suisse ferait tout à fait son affaire ? » En attendant la promulgation de la constitution suisse, Ragheb s’endormit au pouvoir d’où il allait si vite tomber. Mais la Turquie, craignant toujours la conférence dont les délibérations paraissaient cependant bien peu menaçantes, et s’imaginant que l’Allemagne et l’Autriche étaient solidaires des maladresses de leurs agens, crut bien faire en déclarant aussi que l’ordre était rétabli en Égypte, que tout désormais y était dans un état parfait, que Ragheb était le plus grand des ministres et Arabi le plus fidèle des généraux. Sur quoi elle envoya au chef des rebelles égyptiens les plus importantes décorations et le félicita hautement de ses services. Le sultan et Arabi se donnaient le baiser Lamourette entre les bras séniles de Ragheb. Cet intermède ridicule jeta un peu de gaîté entre le massacre d’Alexandrie et le bombardement qui allait amener la ruine de cette malheureuse ville.

Je n’ai ni à raconter ni à juger ici ce bombardement. On sait à la suite de quelles circonstances l’Angleterre, se dégageant du prétendu concert européen qui risquait de laisser le monde musulman tout entier s’enflammer au foyer brûlant de l’Égypte, couvrit de ses boulets les forts impuissans d’Alexandrie. L’amiral Seymour avait envoyé un ultimatum à Arabi pour lui défendre de travailler à barrer les passes du port et à relever les fortifications. Toulba répondit, comme gouverneur de la place, qu’on ne faisait aucun préparatif militaire et que les ordres de l’Angleterre étaient suivis. La Porte s’étant prononcée dans le même sens que l’Angleterre, la réponse fut plus catégorique encore. Cependant, en dépit de ces assurances mensongères, les apprêts belliqueux continuaient de