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France et de l’Angleterre a été ébranlée. Une note menaçante, signée par les deux puissances, était venue promettre au khédive qu’on ne le laisserait pas toujours à la merci de la révolte d’une soldatesque. M. Gambetta était au pouvoir, et sa fougue avait entraîné la patiente lenteur de lord Granville. Les gouvernemens alliés semblaient résolus à agir vigoureusement pour réprimer l’émeute, pour rendre au khédive son autorité, pour soutenir Chérif-Pacha et les élémens de résistance qui s’étaient groupés autour de lui. Déjà l’armée commençait à rentrer dans l’ordre, comme elle l’avait fait à l’arrivée des commissaires turcs. Mais à peine la note était-elle au Caire que M. Gambetta tombait du pouvoir. Abandonnée par M. de Freycinet, reniée par l’Angleterre, la note n’a pas eu un succès plus durable que la mission de Fuad-Pacha et de Nizami-Pacha. Dès lors, Arabi a pensé qu’il ne lui serait pas plus difficile de faire capituler les deux puissances que le sultan, et son orgueil n’a plus connu de bornes. Quelle force pouvait lui être opposée en Égypte? Une seule : celle des Bédouins. J’ai déjà dit que les Bédouins s’étaient brouillés avec lui parce qu’il avait voulu leur enlever leurs terres pour s’en constituer un domaine personnel. De plus, il avait tenté de leur imposer le service militaire et des taxes dont ils sont exonérés depuis Méhémet-Ali. Aussi étaient-ils devenus ses plus grands ennemis et ne cessaient-ils d’offrir au khédive et à Chérif de venir le combattre. Le souverain et son ministre auraient pu accepter; mais, dans ce cas, ils risquaient un pillage du Caire. Ils ont reculé devant ce danger. Ils persistaient d’ailleurs à espérer qu’un jour ou l’autre la France et l’Angleterre tiendraient leur promesse et marcheraient au secours de l’Égypte. Arabi, au contraire, était convaincu, comme je l’ai dit, que la France et l’Angleterre ne bougeraient pas et qu’elles empêcheraient la Turquie de bouger, ce qui lui assurerait l’impunité, ainsi qu’à ses complices. Tout son système politique reposait sur une idée, que des conseillers habiles lui avaient insinuée et qui paraissait alors fort juste, bien que l’événement en ait prouvé la fausseté. Cette idée était que, si l’on parvenait à rompre l’accord de la France et de l’Angleterre, on n’aurait rien à craindre, attendu que l’Europe ne s’entendrait jamais pour une action commune en Égypte, de même qu’elle ne s’était jamais entendue pour une action commune en Turquie. Aussi travaillait-il de son mieux à brouiller la France avec l’Angleterre, en se disant anti-Français avec les Anglais et anti-Anglais avec les Français, en offrant tour à tour aux uns et aux autres son alliance et son amitié exclusive. Il avait commencé par les Français, et j’ai avoué en toute franchise combien la conduite d’un de nos consuls avait servi ses desseins. Mais les Anglais ne lui ont pas