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installé dans la place; Chérif n’avait qu’une puissance fictive; la véritable autorité restait entre les mains des colonels. L’appui extérieur, qui était indispensable pour sauver le ministère et l’Égypte, ne pouvait venir que de la Turquie, ou de la France et de l’Angleterre. Il faillit un instant venir de la Turquie. Au moment où l’émeute avait éclaté au Caire, le sultan s’était décidé à y envoyer une mission composée de Fuad-Pacha et de Nizami-Pacha. Cette mission avait des chances de succès; elle aurait même réussi à coup sûr si les intentions du sultan avaient été loyales et si la France et l’Angleterre les avaient secondées. L’annonce seule des commissaires turcs avait causé une frayeur profonde. Les colonels révoltés avaient promis à Chérif, s’il acceptait le pouvoir, de quitter aussitôt le Caire avec leurs troupes. Au lieu de cela, manquant du premier coup à leurs promesses, ils affirmaient la prétention de rester dans la capitale jusqu’à la réunion de la chambre des notables, et Mahmoud-Samy n’épargnait aucun subterfuge pour les seconder dans leur projet. Ils l’auraient exécuté si la résolution du sultan ne leur avait donné à réfléchir. La veille même du jour où Fuad-Pacha et Nizami-Pacha débarquèrent à Alexandrie, Arabi, changeant de dessein, partit au plus vite pour la province. Parvenus au Caire, les commissaires turcs n’y trouvèrent que le khédive, Chérit et les consuls, qui leur dirent que tout allait pour le mieux dans la meilleure des Égyptes possible, que leur présence était inutile et même dangereuse, et qu’ils feraient bien de s’en retourner. La France et l’Angleterre avaient envoyé chacune un cuirassé à Alexandrie, afin d’appuyer ces discours rassurans. Que pouvaient faire les commissaires ? Reprendre la route de Constantinople et aller annoncer au sultan l’échec de leur entreprise.

Je n’hésite pas à dire que, puisque les deux puissances protectrices de l’Égypte étaient alors décidées à ne rien faire pour arrêter la révolution égyptienne, il est regrettable qu’elles aient rendu vaine l’action de la Porte. Au moment où Fuad-Pacha et Nizami-Pacha ont été envoyés au Caire, les colonels révoltés n’étaient pas encore en relations avec Abdul-Hamid; celui-ci se serait peut-être décidé à les traiter en rebelles. Ne pouvant agir en sultan, il a essayé d’agir en calife, de faire entrer les colonels dans la grande ligue du panislamisme, de les transformer en instrumens plus ou moins volontaires de l’union musulmane, qu’il a inaugurée à Constantinople. Fuad-Pacha et Nizami-Pacha n’avaient eu aucun rapport avec Arabi; mais, à leur départ, Kadri-Bey, qui faisait partie de leur mission, resta en Égypte pour s’entendre avec lui. C’est alors que des communications suivies et régulières s’établirent entre le chef de la révolte d’Égypte, Arabi, et le sultan de Stamboul. Arabi, qui s’attendait à être traité en insurgé, peut-être même à