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pas que cette vanité visait à se satisfaire au sommet même de l’état. Sa jeunesse avait été singulière. Fils d’un mameluk de Méhémet-Ali, dont la conduite avait été si immorale, même pour l’Égypte, qu’on s’était vu forcé de l’envoyer mourir au Soudan, il avait gagné peu à peu par sa souplesse et par son habileté la faveur d’Ismaïl-Pacha, Celui-ci, voulant lui marquer ses bonnes grâces, l’avait marié à une des plus jolies femmes de son harem, à laquelle il avait donné une dot considérable. Bientôt cette femme le trompa. Blessé dans son orgueil encore plus que dans son amour, Mahmoud-Samy massacra, par esprit de vengeance, la mère et l’amant de sa femme. Ismaïl irrité prononça le divorce, et décida d’envoyer Mahmoud-Samy au lieu où son père était mort. Cependant il se laissa adoucir et se borna à l’expédier en Crète, avec ordre de le mettre toujours au premier rang des troupes qui y combattaient alors une insurrection. Mahmoud Samy échappa à tous les dangers ; il revint sain et sauf en Égypte ; le khédive lui rendit son amitié et lui permit d’épouser une nouvelle femme d’une très grande fortune et parente du mari de sa propre fille. Mahmoud-Samy ne se souvint pas du pardon, mais il garda l’injure gravée au cœur. Seulement, comme la dissimulation est le fond même de son caractère, il n’en laissa rien paraître tant qu’il ne crut pas pouvoir le faire sans danger. De tous les hommes qui ont joué un rôle dans l’insurrection égyptienne, c’est sans comparaison le plus méprisable. Grand, d’un visage assez agréable, il est étonnamment hautain et suffisant, ce qui lui donne l’air, non d’un gentilhomme, mais d’un Turc prétentieux. Ses mœurs privées sont celles des Orientaux les plus dépravés. Sa conduite publique a été empreinte de la plus insigne fausseté. Il a trahi tour à tour le khédive, Riaz-Pacha et Chérif-Pacha, en les accablant de telles protestations de dévoûment que ceux-ci ne pouvaient douter de sa sincérité. Il jurait sans cesse sur la religion, sur l’honneur, sur sa propre tête, sur celle de sa femme, qu’il travaillait contre les colonels, alors qu’il était leur ami et leur espion. « Il est flatteur, rusé, hypocrite, menteur et ingrat, » a dit Chérif-Pacha dans sa déposition. Ce qui le prouve c’est que, quelque temps avant que le bruit courût que le ministère allait tomber et que Mahmoud allait être porté à la présidence, il s’est présenté chez moi et m’a dit que MM. Colvin et de Blignières, poussés par leur inimitié envers lui, avaient fait circuler ce bruit sans fondement ; puis il m’a assuré sous plusieurs sermens que si je donnais ma démission, non-seulement il n’accepterait pas la présidence, mais qu’il repousserait absolument tout service et quitterait l’Égypte. Un jour, avant la démission du cabinet, il a répété la même histoire et fait les mêmes sermens à Boutros-Pacha pour qu’il m’en fît part. Si je voulais exposer