mouvemens fébriles, se cramponnant à la barre qui entoure le siège du président, aussi effaré qu’un naufragé qui se noie et détournant piteusement la tête pour se dérober au supplice que lui infligeait son père en cherchant son regard. Mais, par intervalles, le sentiment de son importance prévalait sur son embarras, sur la honte et sur l’épouvante de son action, et lui faisait commettre des imprudences. On l’a entendu déclarer qu’il n’a plus besoin de ses parens, qu’il ne les connaît plus, que son avenir est assuré, que de très grands personnages s’intéressent à lui, qu’il mangera toute sa vie du pain blanc. Cet enfant terrible s’est écrié un jour : « Je ne veux plus être juif, parce qu’on m’a certifié que sous peu on chasserait tous les juifs de Hongrie, » Il faut croire que ce jeune homme était né avec d’heureuses dispositions; mais il faut convenir aussi que ce qu’il est devenu en quelques mois fait un prodigieux honneur à l’éducation que lui ont donnée des pandours assistés d’un cafard.
Cependant la découverte d’un cadavre à Tisza-Dada fut un incident fort désagréable pour M. Bary. Ce cadavre était celui d’une jeune fille morte par submersion et ne portant la trace d’aucune entaille à la gorge. Si c’était Esther, Moritz avait menti et l’accusation croulait. Aussi procéda-t-on avec beaucoup de précaution à l’examen du corps, la défense n’y fut point convoquée. On choisit pour experts un simple étudiant en médecine, qui n’en savait pas long, et deux médecins qu’on voit souvent dans le château de M. Onody, le plus féroce des antisémites. L’avis contraire des trois professeurs de Pesth, dont le désintéressement en cette affaire égalait l’autorité, ne fit aucune impression sur M. Bary, quoique leur verdict eût été confirmé de Vienne par l’un des maîtres de la science, M. Hofmann. On entendait que ce cadavre, qui semblait déposer en faveur des juifs, servît à les confondre et à les perdre. Une nouvelle légende circula. On prétendit qu’il y avait eu substitution de corps, que pour en imposer à la justice, les juifs étaient parvenus à se procurer une morte, qu’ils avaient habillée des vêtemens d’Esther. Les bateliers ou flotteurs qui avaient trouvé le cadavre furent cités et interrogés. Ces pauvres gens, venus la plupart du comitat de Marmaros et du pied des Carpathes, n’avaient appris dans toute leur vie, comme l’a dit l’un d’eux, « qu’à manier la rame, à passer à droite ou à gauche des moulins, à aborder quand il faisait du vent, à manger, à boire et à dormir. » Juifs ou chrétiens, les quinze flotteurs répondirent ingénument aux questions qu’on leur adressait d’un ton farouche; ils racontèrent tous de la même manière comment le cadavre avait été trouvé. Heureusement, Recski et Peczely n’étaient pas loin, ils se chargèrent de les faire parler, ils déployèrent à cet effet toute leur industrie, tout leur génie. Menaces, promesses, mauvais traitemens, tortures aimables et raffinées, ils eurent recours à toutes les rubriques de leur métier. Ils enfermèrent leurs captifs dans