Mais des syllogismes de bonnes femmes et de prétendues inspirations de Dieu ne suffisent pas dans un pays civilisé pour faire pendre juridiquement des juifs. Il faut encore un juge d’instruction qui, au lieu d’examiner le pour et le contre, de peser les témoignages, de démêler le vrai du faux, épouse aveuglément les passions des commères et tienne d’emblée les légendes pour articles de foi. Ce juge s’est rencontré, il s’appelle M. Bary, et c’est un terrible homme que M. Bary. Nous voulons croire qu’il aime la vérité, mais ses préjugés lui sont plus chers encore; nous voulons croire qu’il hait l’injustice, mais il déteste encore plus Israël et son Dieu. Il est permis à un juge d’instruction de bâtir des hypothèses et de s’en aider pour découvrir la vérité ; mais, quand il a les vertus de son métier, il se réserve le bénéfice d’inventaire, et si les faits démentent ses suppositions, il change de piste. Ce n’est pas ainsi que procède M. Bary. La conjecture qu’il a formée avant tout examen a pour lui la certitude d’un fait et l’autorité d’un dogme; il ne s’occupe plus que de se procurer de gré ou de force des témoignages qui la confirment. Tous ceux qui la contredisent sont des menteurs, il les traite d’impudens, il leur fait rentrer leur imposture dans la gorge. Il dit aux témoins : « Dites ce que je vous ordonne de dire, sinon vous passerez le reste de votre vie dans la nuit d’un cachot. » On l’en croit sans peine, il a l’humeur farouche, le geste autoritaire. Durant toute l’instruction, il a tenu le village d’Eszlar dans un véritable état de siège ; il suffisait d’entendre prononcer son nom pour pâlir, d’entrevoir son visage pour trembler.
Il faut cependant lui rendre cette justice que s’il menace les témoins qui ne disent pas ce qu’il leur commande de dire, d’habitude, il ne les bat pas; il se décharge de ce soin sur deux subalternes, qui paraissent s’en acquitter avec plaisir. L’un est un commissaire de la sûreté, ou chef de pandours, nommé Andréas Recski, lequel passe auprès de tous ceux qui ont l’honneur de l’approcher pour posséder comme personne l’art d’extorquer des aveux aux prisonniers par des moyens peu doux; il a péché quelquefois par un excès de zèle, il s’est attiré de ce fait des peines disciplinaires. L’autre est le greffier Koloman Peczely, justicier plus étrange encore. On assure qu’en 1854, à l’âge de vingt-trois ans, il eut une liaison avec la femme d’un bourgeois de Miskolcz. Surpris par le mari, il l’étrangla avec le secours de sa maîtresse, le coupa en morceaux, l’enferma dans un sac, jeta le sac et l’homme dans la rivière. Le tribunal de Kaschau fut saisi de l’affaire. La note de police qui lui fut adressée portait que Peczely était « un homme sans mœurs de triste réputation, poursuivi plusieurs fois pour vol. » Il fut condamné à quinze ans de détention; en 1867, on lui fit grâce. Son histoire lui a été racontée en plein tribunal, il n’a point nié et ne s’est point déconcerté. Aujourd’hui ce vase d’élection rend des oracles il