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suivie de l’amiral et de M. le prince, et peu après Coligny, avec sa femme, ses enfans et son frère d’Andelot, reprit le chemin de Châtillon. En repassant dans son esprit ce qui était arrivé depuis un an, peut-être regretta-t-il de n’avoir pas suivi son premier sentiment et de n’avoir pas résisté plus obstinément à ceux qui voulaient commencer la guerre civile. Sa conduite à Dreux avait été héroïque, mais était-il de ceux qui eussent besoin de faire admirer leur courage? Qu’avait gagné la nouvelle religion à ces luttes sanglantes? Les haines étaient-elles bien apaisées? Un soupçon affreux le suivait comme une ombre. Si les Lorrains étaient tout prêts à mettre l’Espagnol dans nos villes, n’avait-il pas dû lui-même négocier avec la dangereuse reine d’Angleterre et caresser des espérances qui étaient une menace pour la France ? n’avait-il pas été contraint de montrer aux reîtres allemands le chemin de la Loire? Et cette paix, si chèrement obtenue, que valait-elle? Elle donnait moins aux églises que ne leur avait donné le premier édit, dit édit de janvier. Si celui-ci avait été indignement violé, pouvait-on se flatter que l’édit nouveau serait plus respecté? La peste avait enlevé à Coligny un de ses enfans à Orléans : il retourna chez lui, triste, assez mécontent de Condé, préoccupé des affaires du Havre : « Pouvant obtenir des charges, j’ai toutefois mieux aimé me retirer en ma maison, et, dans toute sorte de retenue et de repos, y mener une vie privée[1]. » Sa piété avait pris un caractère plus fervent. Il exerçait la justice seigneuriale et ordonna que désormais l’exercice de cette justice commencerait par des prières. Châtillon devint un temple; l’exercice du nouveau culte restant, en vertu de l’édit, une sorte de privilège, il était naturel que les grandes maisons seigneuriales en profitassent et qu’on y appelât tous ceux à qui l’on ne pouvait librement distribuer au dehors le pain de l’évangile. Ce n’était pas la terreur qui le tenait éloigné de la cour, il ne connaissait pas ce sentiment, mais les Guises parlaient toujours de venger le meurtre de François de Lorraine. Un moment, Coligny quitta Châtillon pour aller à Saint-Germain, afin de répondre en face à ses calomniateurs. Condé l’arrêta à Essonne et le supplia de ne pas aller plus loin et de ne donner par sa présence aucun prétexte à ceux qui voulaient fomenter de nouveaux troubles. « Je crains, disait Condé à l’ambassadeur d’Angleterre, que parmi tant d’hommes de guerre qui sont ici, il y en ait un qui lui tire un coup de pistolet, et je prends autant de soin de son existence que de la mienne. »

Coligny ne pouvait toutefois rester tout à fait étranger aux négociations poursuivies avec Elisabeth au sujet du Havre. D’Andelot, son

  1. Hotman, Vie de Coligny.