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Rouen. Le traité d’Hampton-Court fut le prix qu’exigea Elisabeth pour donner son appui aux réformés français (il fut signé le 20 septembre 1562); la reine s’y engageait à mettre trois mille hommes dans le Havre pour le garder au nom du roi de France, et à donner trois mille hommes pour la défense de Rouen et de Dieppe ; le traité ne devait point préjudicier aux droits de la reine d’Angleterre sur Calais. « Condé et Coligny, dit le duc d’Aumale, essayèrent plus tard d’effacer la tache que ce traité inflige à leur mémoire; ils prétendirent n’avoir pas connu la portée des engagemens pris en leur nom envers Elisabeth et accusèrent le vidame de Chartres d’avoir outre-passé ses instructions. » Les dépêches de Throckmorton à sa souveraine prouvent qu’ils regardaient comme « une grande note d’infamie » l’accusation qui pouvait se porter contre eux si, par leur moyen, la reine d’Angleterre chassait le roi, leur souverain, de la « fleur du duché de Normandie. »

Il était plus dangereux de traiter avec la reine d’Angleterre qu’avec les princes allemands, simples marchands d’hommes, qui ne demandaient jamais que de l’argent. Les protestans se trouvaient dans la situation la plus critique ; Condé, qui, seul avec Coligny, résistait encore au découragement des siens, était prêt à partir, avec quelques chevaux, à travers mille périls, pour l’Allemagne, quand on eut enfin des nouvelles de d’Andelot. Il n’était plus qu’à trente lieues ; il avait, miné par la fièvre et porté dans une litière, conduit le secours allemand à travers la Lorraine, il avait passé des sources de la Seine dans la vallée de l’Yonne; enfin, le 6 novembre, il entrait à Orléans.

L’amiral conseilla de marcher droit avec ce renfort en Normandie pour recevoir l’argent anglais et en contenter les reîtres et les lansquenets, et pour recueillir les troupes anglaises promises par Elisabeth. Les catholiques marchèrent parallèlement aux protestans, et le 19 décembre les deux armées se trouvèrent en face l’une de l’autre à Dreux. Le duc d’Aumale, qui a donné un récit très circonstancié de cette bataille, relève quelques erreurs commises la veille par Coligny : « L’amiral, dit-il, croyait qu’il n’y aurait pas de bataille, et imposait son opinion comme d’habitude. L’armée rentra dans ses logemens de la nuit sans occuper les villages qu’elle avait devant elle, sans même s’éclairer. » Le matin du 19 décembre, Condé, pressé d’agir, était à cheval avec la « bataille » et envoyait message sur message à Coligny ; mais l’amiral, toujours convaincu qu’il n’y avait pas chance de combattre, s’inquiéta peu de ces ordres et n’arriva que longtemps après avec sa troupe « sans harnois sur le dos n’y armes en tête. » Il fallut se rendre à l’évidence; Condé, Coligny et d’Andelot aperçurent bientôt devant eux toute l’armée du connétable.