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qui lavent du linge dans un ruisseau, à ces hommes qui conduisent des bœufs le long d’un champ ou qui déchargent une voiture pleine de blé, à ces bergers qui jouent de la flûte en gardant leurs troupeaux, et même à ces chevaux qui foulent le grain. C’est que les Ferrarais étaient un peuple pratique, quoiqu’ils ne fussent point inaccessibles à l’idéal. Sans doute ils savaient apprécier la parure printanière du sol et le riant aspect des moissons ; mais la vue des champs ne flattait pas moins leurs regards par la promesse d’un accroissement de bien-être et de richesse. Les souverains de ce peuple n’étaient pas non plus sans calculer ce qui leur en reviendrait, soit par les impôts, soit par les dons volontaires en usage à certaines époques déterminées, soit par les monopoles qu’ils s’étaient attribués, notamment sur les fruits et sur les légumes. Ces tendances d’esprit n’avaient rien de surprenant. Aux environs de Ferrare, la campagne ne fait guère songer qu’à l’utile. Ce ne sont de toutes parts que plaines uniformes, coupées de fossés remplis d’eau, sans accidens de terrains. Pour trouver des paysages attrayans, il faut gagner les monts Euganéens, qui forment entre Ferrare et Padoue comme un vaste îlot de hauteurs pittoresques, au milieu desquelles s’élève la ville qui fut le berceau de la maison d’Este.


Après tout ce qui vient d’être dit, il serait difficile de ne pas reconnaître l’importance des fresques qui ornent la grande salle du palais de Schifanoia. Malgré le triste état où les a réduites la barbarie des hommes bien plus que l’action destructive du temps, elles ont une éloquence à part et occupent une place spéciale parmi les monumens de l’art à la fin du XVe siècle. À côté des anciennes habitudes d’esprit, on y sent l’éveil de l’esprit moderne. Les traditions propres à l’ancienne école ferraraise s’y combinent jusqu’à un certain point avec les principes des écoles voisines : Piero della Francesca, venu de l’Ombrie, et Lorenzo Costa, pénétré de la manière des artistes florentins, s’y trouvent plus ou moins directement associés à Cosimo Tura ou à ses élèves.

Ce qu’il y a de moins attrayant dans ces peintures, ce sont les allégories morales ou astronomiques et les sujets mythologiques. L’art ferrarais d’alors était trop réaliste, trop peu épris de la beauté idéale, pour donner aux figures allégoriques le charme et la grâce qui doivent les mettre au-dessus des simples créatures, et il n’avait pu consulter assez de statues et de bas-reliefs antiques pour faire revivre à son tour les divinités de l’Olympe dans leur sereine et majestueuse beauté. Ses tentatives n’en sont pas moins curieuses à observer, car elles révèlent combien les aspirations de l’école ferraraise