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lui prennent la main, l’entourent, se frottent à lui comme de jeunes animaux nouvellement apprivoisés. Ils ont un mot : « Bonjour, papa Roussel! » qui est un aveu d’affection, car l’abbé n’a rien du papa, au sens familier du mot, rien de vieux, rien de rebondi, rien de « ganache; » tant s’en faut : il est robuste comme un chêne; ses cheveux bruns, son regard bleu plein d’éclairs de tendresse, son sourire sans banalité, lui gardent plus de jeunesse que son âge ne le comporte ; sa carrure et ses larges épaules me font penser qu’il ne serait point en peine, si on lui lançait un poids de 20 kilos, de le saisir, lui aussi, à la volée, et de le porter à la force du poignet. J’imagine que cette apparence vigoureuse n’est pas sans influence sur le prestige qu’il exerce et que sa bonhomie a fortifié dans le cœur de ses élèves. Il les tutoie tous, vit près d’eux, avec eux, pour eux; il les mène paternellement, gaîment et se moque de ceux qui se plaignent. Si l’un de ces marmos refuse d’avaler sa soupe, sous prétexte qu’elle est mauvaise, l’abbé la prend, la mange, fait claquer sa langue et dit : « Ma foi, je l’ai trouvée fort bonne! » Avec un tel maître il est difficile de bouder longtemps.


III. — LES ATELIERS.

La maison est grande; elle est neuve et déjà paraît vieille, tant les matériaux dont elle est construite sont légers, et tant le petit peuple qui l’habite, mû par l’instinct destructeur de l’enfance, la détériore et la souille. Elle est, du reste, en cela semblable à bien des pensionnats de haut renom. Lorsque le seigneur d’Anglure, pèlerin champenois, visita l’Egypte au XIVe siècle et pénétra dans la grande pyramide, il déclara que c’était « un lieu moult mal flairant. » J’en pourrais dire autant de quelques endroits de l’Orphelinat d’Auteuil, et le lecteur me comprendra sans que j’aie à m’expliquer. Le petit Français est, en général, d’une saleté révoltante, et les élèves de l’abbé Roussel n’échappent point à ce privilège de la race latine. Je connais un Anglais qui voulut faire élever son fils à Paris. Il parcourut successivement nos lycées, et mit son enfant en pension à Cantorbéry. L’aspect et l’infection de certains cloaques, qui ne manquent dans aucun collège, l’avaient à jamais dégoûté de l’éducation française. C’est là un inconvénient qui n’a rien d’impérieux et auquel il serait facile de remédier. Les pédagogues, quels qu’ils soient, devraient savoir que les soins extérieurs, que les ablutions surveillées, multipliées sont indispensables à la santé de l’enfant, et qu’il vaut mieux passer une demi-heure à se débarbouiller que d’employer cinq minutes à apprendre que cornu est indéclinable ; ils devraient savoir également que la propreté est l’emblème visible de la moralité.