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saisit, l’enferme et le garde pendant un temps déterminé par la loi; si elle l’isole, elle le laisse avec lui-même, c’est-à-dire avec son propre vice; si elle le place près de ses congénères, elle le mêle aux vices d’autrui qui le pénètrent. Dans le premier cas, médication périlleuse; dans le second, émulation vers le mal : danger des deux parts; on a reçu un vaurien, on rend un criminel.

A Paris, la prison qui enclôt les enfans condamnés et la prison où l’on est momentanément déposé avant de partir pour les maisons centrales ou pour les pénitenciers d’outre-mer, se font vis-à-vis, presque sous les ombrages du cimetière de l’Est. L’une est l’antichambre de l’autre. En surveillant de « la correction paternelle » me le disait dans un langage pittoresque qui m’a frappé : « Ici, à la Petite-Roquette, nous semons et nous plantons; c’est la grande Roquette qui récolte. » Ce brave homme avait raison; je lui demandai : « Si votre fils était un mauvais sujet, le feriez-vous enfermer ici? » Il me répondit brusquement, comme un homme dont l’expérience a formé la conviction : «Ici? pour en faire un galérien, jamais! J’aimerais mieux l’étrangler. » J’ai visité plusieurs fois ce bagne de l’enfance, j’ai ouvert la porte des cellules, j’ai causé avec les petits détenus, j’ai demandé la grâce de ceux que l’on ficelait dans la camisole de force parce qu’ils étaient récalcitrans, j’ai pu constater à l’infirmerie leur étrange précocité; je les ai vus bâiller dans les boxes de la chapelle pendant les offices; je les ai regardés travailler sans courage, se promener avec ennui dans leur étroit préau, et j’ai trouvé que, moralement et physiquement, cette maison était impitoyable; elle emmure l’enfant et ne fait rien pour lui. Elle m’a paru être le contraire d’un instrument de préservation sociale. Tant que la prison ne sera pas un hospice moral, la réforme pénitentiaire ne sera pas ébauchée.

Traiter un enfant vagabond, d’âge irresponsable, échappé de la maison paternelle et, le plus souvent, abandonné, sinon chassé par sa famille, comme on traite un voleur, c’est lui apprendre à voler. J’ai vu juger, je m’en souviens, un gamin d’une douzaine d’années, maigre, ébouriffé, à peine vêtu, à la fois ironique et respectueux dans ses réponses. On l’avait rencontré vaguant autour des Halles et cherchant un abri derrière les tas de légumes pour y dormir. On l’avait arrêté, mené au poste, transféré au dépôt et traduit devant le tribunal de police correctionnelle. Il raconta son histoire, qui était simple et commune à plus d’un. Son père s’en était allé on ne sait où ; sa mère s’était accouplée avec un ouvrier qui, estimant que l’enfant était onéreux à nourrir, l’avait mis à la porte en lui disant qu’un « homme » doit gagner sa vie. Le pauvre petit errait depuis deux mois, attrapant par ci par là une pièce de