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n’ont tenté de ressaisir la victoire, une douteuse et dangereuse victoire, en 1877, que pour retomber sous le coup d’une défaite plus accablante; les vaincus de 1873, les républicains sont redevenus les vainqueurs de 1876, de 1877, et ils n’ont retrouvé le succès que pour en abuser, pour commencer dès lors à faire de la république le règne des passions, des représailles et des excès de parti. Les uns et les autres se sont rencontrés dans d’étranges et implacables mêlées, se disputant la France à travers toutes les alternatives de réaction ou d’agitation. Éloigné du pouvoir, mais non désintéressé des affaires du pays, témoin supérieur et clairvoyant de ces violentes oscillations des partis, M. Thiers est resté jusqu’au bout, dans sa retraite, le représentant de la politique pour laquelle il avait accepté de tomber, qu’il soutenait encore à ces premiers momens de septembre 1877, où, surpris par la mort, il disparaissait de ce monde sans avoir vu le dénoûment de la malheureuse crise du 16 mai. Je ne reprends pas tout ce passé, dont le présent n’est d’ailleurs que la continuation violente. Je ne veux pas refaire le compte des fautes, des aveuglemens, des illusions des partis et des hommes ; mais ce qui reste frappant, c’est que, vainqueurs ou vaincus de ces luttes de dix années, monarchistes et républicains, ont eu le temps de prouver tour à tour ce qu’il y avait de clairvoyance, de justesse et de profondeur dans les vues essentielles de M. Thiers sur la politique de la France, sur la difficulté de rétablir la monarchie aussi bien que sur les conditions nécessaires d’une république tolérable et durable.

Ce n’est point évidemment à la légère que M. Thiers s’était fait son opinion tout d’abord sur cette question d’une restauration monarchique qui paraissait si simple à tant d’esprits honnêtes, qui se retrouvait dans tous les débats, dans toutes les crises du temps. Il s’était décidé en politique obligé de compter avec les circonstances, avec la réalité des choses, de se demander sans cesse ce qu’il y avait de possible; il avait pris son parti parce qu’il n’avait eu qu’à regarder autour de lui pour voir les divisions accumulées dans la situation de la France par les révolutions, par des scissions dynastiques, qui faisaient pour le moment d’une restauration de monarchie une sorte d’impossibilité. Il ne cessait de le dire à la droite de l’assemblée : « Quand je m’adresse de votre côté, je trouve des conservateurs, je le sais ; mais je trouve aussi les représentans de trois dynasties... Si vous pouvez rétablir la monarchie, que ne le faites-vous à l’instant? Vous ne le faites pas; vous ne le pouvez pas parce que vous vous diviseriez aussitôt... Il n’y a qu’un trône, on ne peut pas l’occuper à trois!.. » S’il eût dit toute sa pensée, il aurait ajouté que, même en écartant une des trois dynasties, celle de l’empire, il avait, pour lui, peu d’illusions sur