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semblait seule possible. C’est là justement ce qu’on lui reprochait comme sa grande trahison, comme la grande concession au radicalisme, et à ceux qui lui en faisaient un crime il répondait : « Vous le savez bien, et c’est ce qui vous justifie de ne pas venir, au nom de votre foi, nous proposer le rétablissement de la monarchie, car enfin ce serait votre droit... Pourquoi ne le faites-vous pas? Pourquoi, quand la polémique s’engage entre vous et nous, vous hâtez-vous de dire : Non, ce n’est pas comme monarchistes que nous parlons, c’est comme conservateurs? C’est, convenons-en de bonne foi, que vous-mêmes sentez que pratiquement aujourd’hui la monarchie est impossible. Je n’ai pas besoin d’en dire la raison encore une fois, elle est dans votre esprit à tous : il n’y a qu’un trône et on ne peut pas l’occuper à trois!.. » M. Thiers ne voyait donc que la république possible dans la situation de la France et il proposait les lois qui pouvaient le mieux lui imprimer un caractère conservateur.

Le moyen était décevant ou insuffisant, lui disait-on ; pour lui il n’en connaissait pas d’autre, il restait ferme dans sa politique, et rendant coup pour coup, blessure pour blessure à ceux qui l’accusaient, laissant déborder son amertume, il ajoutait en finissant: « On nous a dit avec une pitié dont j’ai été très touché qu’on plaignait notre sort, que nous allions être des protégés, — des protégés de qui? Du radicalisme. On m’a prédit à moi une triste fin. Je l’ai bravée plus d’une fois pour faire mon devoir, je ne suis pas sûr que je l’aie bravée pour la dernière fois. Et puis on nous a dit qu’il y avait une chose fâcheuse outre une fin malheureuse, c’était d’y ajouter le ridicule. On me permettra de trouver cela bien sévère. Un homme qui aurait servi son pays toute sa vie, qui aurait dans les temps les plus difficiles sacrifié sa popularité pour la vérité, qui aurait rendu des services que je ne prétends pas avoir rendus, peut-être pourrait traiter avec cette pitié des hommes comme ceux qui sont sur ces bancs. Je remercie l’orateur de ses sentimens compatissans ; qu’i! me permette de lui rendre la pareille et de lui dire aussi que moi je le plains. De majorité, il n’en aura pas plus que nous; mais il sera un protégé aussi, je vais lui dire de qui,.. il sera le protégé de l’empire ! » C’est la fatalité des luttes ainsi engagées de ne pouvoir finir que par d’irréparables ruptures. A peine M. Thiers avait-il cessé de parler, ses adversaires, sans perdre un instant, se concertaient déjà pour continuer la bataille jusqu’au bout. Ce n’était pas sans intention qu’ils avaient fixé à neuf heures du matin la séance où le président de la république devait être entendu. Ils se hâtaient de décider qu’il y aurait une séance nouvelle dans l’après-midi ; ils étaient résolus à provoquer, s’il le fallait, une troisième séance, une séance de nuit. L’affaire était évidemment