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légale de la commune. » Le gouvernement avait-il fait, faisait-il encore tout ce qu’il devait pour détourner cette redoutable éventualité ? Par son passé, par le nom de ses principaux chefs, par ses intentions, il était conservateur, on voulait bien le reconnaître ; par sa fausse tactique de ménagemens et de compromis, par son système d’équilibre entre toutes les influences, il faisait sans le vouloir la force du radicalisme. Il créait une situation équivoque où lui, gouvernement conservateur, élu par la majorité de l’assemblée, il paraissait souvent l’allié des partis extrêmes, des minorités révolutionnaires contre les conservateurs. Les élections de Paris et de Lyon venaient de montrer le danger, — « le précipice ouvert. » Que représentaient dans ces conditions les nouveaux ministres? Si honorables, si bien intentionnés qu’ils fussent, ils semblaient n’arriver au pouvoir que pour continuer, pour accentuer le système qui avait fait tout le mal, — et c’est là ce que ne pouvaient plus admettre les conservateurs, convaincus, suivant une phrase fameuse, « qu’il n’y avait plus dans ce sens ni une faiblesse ni une faute à commettre. » Le duc de Broglie ne cachait pas que, si le gouvernement hésitait à rompre avec les radicaux, qui, après l’avoir vaincu dans les élections, le menaçaient d’un appui plus compromettant encore, ses amis, les trois cent vingt, étaient décidés à la guerre, quoi qu’il dût arriver, dussent-ils s’exposer à une défaite qui atteindrait d’ailleurs le gouvernement aussi bien qu’eux-mêmes, et d’un accent résolu il ajoutait: « Périr pour sa cause en tenant son drapeau dans la main et aux pieds d’un rempart qu’on défend, c’est une mort glorieuse dont un parti se relève et qui grandit la mémoire des hommes publics. Périr, au contraire, après avoir préparé, avant de le subir, le triomphe de ses adversaires, périr en ayant ouvert la porte de la citadelle ; périr en joignant au malheur d’être victimes le ridicule d’être dupes et le regret d’être involontairement complices, c’est une humiliation qui emporte la renommée en même temps que la vie des hommes d’état. » À cette attaque véhémente M. Dufaure répliquait sur-le-champ de sa forte et sobre parole au nom du cabinet; mais il ne s’agissait pas évidemment du ministère. L’interpellation, on le sentait bien, s’adressait au chef de l’état lui-même, et M. Thiers, toujours impatient de prononcer le Me ! me adsum ! n’avait pas tant tardé à réclamer sa place dans le combat. Dès le premier instant, il avait prévenu le président de l’assemblée de son intention d’intervenir dans la discussion, invoquant à la fois la loi et la raison.

Tout avait été réglé selon la bizarre étiquette de la loi des « trente. » Le président de la république ne pouvait être entendu que le lendemain, dans certaines conditions, dans une séance spéciale, et le matin du lendemain, 24 mai, M. Thiers comparaissait en chef de gouvernement se déclarant seul coupable, s’il y avait un