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pas, il suffirait de la moindre faute pour faire évanouir cette espérance dans une désolante réalité... » Est-ce donc que M. Thiers, en parlant ainsi, voulût imposer ses opinions, faire violence à l’assemblée? Il restait dans son rôle, il se bornait à donner un conseil, un avertissement, sans prétendre rien engager, rien décider, et, complétant sa pensée, il se hâtait d’ajouter : « La forme de cette république n’a été qu’une forme de circonstance donnée par les événemens, reposant sur votre sagesse et sur votre union avec le pouvoir que vous aviez temporairement choisi; mais tous les esprits vous attendent, tous se demandent quel jour, quelle forme vous choisirez pour donner à la république cette force conservatrice dont elle ne peut se passer. C’est à vous à choisir l’un et l’autre. Le pays, en vous donnant ses pouvoirs, vous a donné la mission évidente de le sauver en lui procurant la paix d’abord, après la paix l’ordre, avec l’ordre le rétablissement de sa puissance et enfin un gouvernement régulier. Vous l’avez proclamé ainsi, et, dès lors, c’est à vous de fixer la succession, l’heure de ces diverses parties de l’œuvre de salut qui vous est confiée. Dieu nous garde de nous substituer à vous ! Mais à la date que vous aurez déterminée, lorsque vous aurez choisi quelques-uns d’entre vous pour méditer sur cette œuvre capitale, si vous désirez notre avis, nous vous le donnerons loyalement et résolument... » En d’autres termes, au moment même où il croyait devoir exprimer une opinion puisée dans une étude réfléchie de l’état de la France, M. Thiers n’hésitait pas à reconnaître une fois de plus et à invoquer le pouvoir souverain de l’assemblée, qui devait toujours avoir le dernier mot.

Qu’arrivait-il cependant? Les partis sont invariables dans leurs passions et dans leurs tactiques. Tandis que les républicains, à qui le message ne ménageait pas les dures vérités, affectaient de se tenir pour satisfaits et compromettaient M. Thiers par leur bruyant appui, une émotion extraordinaire éclatait au camp de la droite. Les monarchistes, surpris et irrités, s’emportaient contre le chef du gouvernement, qu’ils accusaient tout haut de trahir son mandat, de vouloir imposer subrepticement la république, de se faire l’allié ou le complice des radicaux dans leur guerre contre la majorité conservatrice du parlement. On ne parlait de rien moins que de relever les défis de M. Thiers, d’en finir sur-le-champ. A peine la lecture du message était-elle achevée au milieu des plus véhémentes protestations, un des chefs de la droite, M. de Kerdrel, proposait de nommer d’urgence une commission qui serait chargée d’examiner les déclarations du gouvernement, de préparer au besoin une réponse au président de la république. Le conflit était flagrant ; il se compliquait encore, quatre jours après, d’une interpellation que le vieux général Changarnier adressait au gouvernement sur les manifestations