Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/504

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui résiste? » M. Thiers n’avait pas d’autre moyen de gouvernement. Il disait un autre jour : « Dans une république organisée, il y a une seconde assemblée. Il y a un pouvoir exécutif qui ne dépend d’aucune des deux assemblées et qui quelquefois a un veto suspensif. Il n’y a rien ici de semblable. »

De sorte que ce qu’on appelait la dictature, « le gouvernement personnel » de M. Thiers, était le phénomène inévitable des circonstances, et que les chocs, les crises qui se succédaient de jour en jour rendaient après tout plus sensible la nécessité d’en venir à des institutions plus fixes, mieux définies. C’était la moralité ou la conséquence de cette situation extraordinaire créée par les événemens; mais ici les divisions devenaient bien autrement profondes. Si on ne s’entendait pas toujours sur la réorganisation financière et militaire, on s’entendait bien moins encore sur les institutions définitives de la France, et à dire vrai, si les désaccords étaient si vifs dans des affaires où l’entente semblait facile, c’est qu’au fond de tout il y avait la grande question, le duel de la monarchie et de la république à peine suspendu ou pallié par un pacte livré lui-même à toutes les contradictions des partis.


III.

Cette terrible question de la république ou de la monarchie, elle devait en effet se reproduire sans cesse, puisqu’elle naissait de la force des choses ; elle se mêlait à tout, et il y avait autant de difficulté à l’éluder qu’à la trancher entre des partis aussi impatiens qu’ombrageux.

M. Thiers ne s’y était pas mépris. Il n’avait pas prétendu imposer aux partis un traité de paix perpétuelle avec ce « pacte de Bordeaux » qui, en assurant le présent, réservait l’avenir, qui, en prenant la république comme un fait, maintenait intact le droit constituant de l’assemblée. Il sentait bien qu’un jour ou l’autre éclaterait la grande bataille pour le choix d’un régime définitif. Tout ce qu’il avait voulu, c’était prévenir ou ajourner des conflits prématurés et peut-être mortels, obtenir des partis une trêve temporaire en leur laissant leurs droits et leurs espérances, créer une sorte de situation neutre dont il s’engageait à être lui-même le premier et fidèle gardien. Le « pacte de Bordeaux, » dans sa pensée, avait signifié ceci : pour les républicains, la sûreté du présent; pour les monarchistes, la liberté de l’avenir; pour le gouvernement, le devoir d’une loyale impartialité entre les deux camps. Il l’avait dit sans détour en proposant cette politique : « Quel est notre devoir à nous? Quel est mon devoir, à moi, que vous avez accablé