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un esclave ici, un commis qui vous plaise, qui pour conserver le pouvoir quelques jours de plus, sera toujours votre courtisan? Eh! mon Dieu! choisissez-le, il n’en manque pas. » Tel était ce pouvoir toujours prêt à l’action et à la lutte pour la réorganisation financière, militaire, administrative du pays.

C’était, j’en conviens, un genre de gouvernement extraordinaire, et il pouvait bien y avoir, si l’on veut, quelque lueur de vérité dans cette piquante saillie d’un député, homme d’esprit, disant un jour: «Nous appliquons à rebours la fameuse maxime : Le roi règne et ne gouverne pas! Autrefois le roi régnait, le parlement gouvernait. Aujourd’hui la chambre est souveraine. Nul ne le conteste ; elle règne; mais celui qui gouverne, c’est le roi! » Il y avait même ceci de particulier que le ministère s’effaçait le plus souvent, ; il ne restait que « le roi, » le chef personnifiant le gouvernement, prenant à peu près seul la responsabilité des résolutions ou des résistances décisives. — Oui, sans doute, c’était extraordinaire, parce tout était extraordinaire dans cette phase politique que traversait péniblement, laborieusement la France ayant à reconquérir tout à la fois et la liberté de son territoire et une forme définitive de gouvernement. Une loi à demi constitutionnelle, décorée du nom de M. Rivet, avait été votée, il est vrai, au mois d’août 1871. Cette loi avait fait de M. Thiers un président de la république en lui donnant une sorte de quasi-inamovibilité pour la durée de l’existence de l’assemblée. Elle avait été proposée évidemment pour créer une apparence de régularité et de stabilité ; elle n’avait par le fait rien changé, elle n’avait fixé ni les droits, ni les rapports, ni les limites des pouvoirs. C’était toujours la même situation. L’assemblée restait souveraine, elle régnait! M. Thiers gouvernait parce qu’il était M. Thiers, — et après comme avant, la seule sanction de son autorité était dans la puissance de sa parole, dans cette dernière ressource qu’il se réservait d’invoquer à propos sa responsabilité, d’opposer aux entraînemens parlementaires une menace de démission. Quand l’assemblée s’égarait ou paraissait près de s’égarer sur les affaires de finances, sur le service militaire de trois ans, M. Thiers n’avait d’autre moyen que de se jeter dans la mêlée, d’arrêter par son éloquence impérieuse ou séduisante ce que sa raison se refusait à accepter. Il n’avait aucune attribution, selon son propre langage, il n’avait pas même le droit de demander un second examen d’une question mal résolue. « Que voulez-vous que je fasse, disait-il, devant une assemblée unique, toute-puissante? Est-ce que vous voulez méconnaître cette vérité que l’assemblée la plus honnête, la plus respectable, la plus respectée comme vous l’êtes, peut être exposée à des entraînemens? Ne faut-il pas que quelqu’un la contredise ? Ne faut-il pas que quelqu’un