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conservateurs eux-mêmes se résignaient à accepter, il prenait feu. Il ne voulait à aucun prix de ce qu’il appelait une taxe de discorde et de socialisme déguisé, un moyen de tyrannie mis entre les mains des partis. « Je me donne pour tel que je suis, disait-il, pour un obstiné, si l’on veut. Relativement à l’impôt sur le revenu, je n’ai jamais varié : j’ai dit non d’une manière absolue. Et savez-vous pourquoi ? À l’égard des partis je suis d’une parfaite impartialité ;.. devant les principes faux il ne peut y avoir, selon moi, d’impartialité, il ne peut être question que de leur condamnation… » Pour lui, dans les circonstances où l’on se trouvait, après tout ce qu’on avait déjà voté, il n’y avait qu’un impôt simple, rationnel, éprouvé, sûrement productif, — le relèvement des tarifs de douane ou, en d’autres termes, l’impôt sur les matières premières ; mais ici il rencontrait dans l’assemblée une invincible résistance. Il avait affaire à des idées et à des intérêts aussi opiniâtres que lui. Pendant dix-huit jours, c’était une vraie bataille pleine de péripéties, une mêlée de chiffres et de calculs où M. Thiers déployait autant d’habileté que de passion, disputant le terrain pied à pied, déconcertant ses adversaires par sa science et par sa merveilleuse lucidité, mettant l’assemblée dans l’alternative d’avouer son impuissance ou de lui accorder, avec l’impôt qu’il réclamait, la ressource dont il avait besoin pour le service du pays. À bout de forces, il finissait par se réduire à demander qu’on votât tout au moins le principe de l’impôt en réservant le chiffre des tarifs, et il ne cachait pas qu’il en faisait une question de gouvernement. « Si vous avez bien voulu m’accorder votre confiance, disait-il pour son dernier mot, c’est que vous avez rencontré chez moi une volonté arrêtée. J’aime mieux les choses qui se décident promptement. Si j’avais suivi mon penchant, j’aurais posé déjà la question il y a trois jours afin d’en finir. On ne gouverne que quand on est capable de prendre ses résolutions nettement… »

Tout ce qui avait pu être tenté pour un impôt qu’il croyait nécessaire, dont il s’exagérait un peu l’importance dans son ardeur de vieux protectionniste, il l’avait tenté. L’assemblée néanmoins refusait de se laisser vaincre ou convaincre ; elle mettait ses répugnances et ses indécisions dans un amendement qui éconduisait les propositions du gouvernement, et, comme il l’avait laissé pressentir, M. Thiers avait envoyé dès le lendemain sa démission ; mais alors l’assemblée, comme effrayée de ce qu’elle avait fait, émue d’une crise à laquelle elle n’avait pas voulu croire, se hâtait de revenir sur son propre vote, d’en appeler au patriotisme de M. Thiers, qui se rendait de bonne grâce devant une manifestation parlementaire à peu près unanime. Le conflit se trouvait heureusement apaisé après avoir été un instant très vif.