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bruyante, a tourné à la confusion de ceux qui l’avaient engagée. Tout a fini dans le parlement de Bruxelles par un scrutin où les réformateurs de la constitution ont eu le modeste contingent de onze voix.

Le chef du cabinet libéral de Bruxelles n’a point hésité sans doute à se prononcer contre la révision telle qu’elle était proposée, à braver le danger d’une scission avec les radicaux, qui peuvent être pour lui en certains momens des alliés utiles. Il est vrai qu’en acceptant cette apparence de rupture, M. Frère-Orban ne laisse pas de faire d’un autre côté des concessions qui peuvent être de nature à désarmer ses pressans et embarrassans alliés du radicalisme. Avant cette dernière discussion, il a pris lui-même l’initiative d’un projet réformant ou abolissant à peu près le cens pour les élections provinciales et communales ; il a proposé aussi une loi sur l’enseignement obligatoire, qui, dans sa pensée, prépare une extension du droit électoral. Ainsi, à l’heure même où il refusait la révision aux radicaux, le chef du cabinet leur donnait ample satisfaction d’un autre côté. Le secret de cette tactique est bien simple : c’est que M. Frère-Orban, en combattant la réforme constitutionnelle, tient néanmoins à ne pas diviser les forces de la majorité parlementaire, et il a plus que jamais besoin de sa majorité parce qu’en ce moment même la Belgique a, elle aussi, ses embarras financiers, ses déficits de budget. Elle aussi, elle a fait des dépenses exagérées, elle a été engagée dans des entreprises coûteuses, disproportionnées, et en pleine paix elle est arrivée à une situation embarrassée, où le ministère, pour se tirer d’affaire, pour combler les déficits qu’il a créés, est réduit à demander au parlement plus de 20 millions d’impôts nouveaux. M. Frère-Orban est obligé de déployer toute sa dextérité pour passer ce périlleux défilé où il s’est trouvé engagé en cédant, lui aussi, au goût des dépenses excessives. Il a évidemment à craindre de la part du pays un certain mécontentement que les partis peuvent exploiter contre lui, et dans le parlement la division de la majorité. Le président du conseil réussira-t-il jusqu’au bout ? Il est clair que cette question des nouveaux impôts a pour sa sécurité ministérielle une autre importance que la question de la révision et qu’elle peut devenir une arme redoutable dans les mains de ses adversaires. La Belgique peut vouloir être libérale ; ce n’est pas une raison pour avoir des finances gouvernées avec légèreté et pour accepter sans se plaindre des charges nouvelles, relativement assez lourdes, qu’une administration plus prudente aurait pu épargner au pays.

CH. DE MAZADE.