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d’hui on fait la guerre aux juifs. Voilà un singulier progrès des idées et des mœurs !

Ces guerres, dans certaines contrées, se compliquent sans doute de passions de races et naissent de ressentimens héréditaires, de toute sorte de causes locales, sociales, économiques ; elles ne sont pas moins extraordinaires. Depuis longtemps, la condition des Israélites n’est rien moins que sûre dans les principautés du Danube, dans les campagnes de la Moldavie, et, après la guerre qui a créé l’indépendance roumaine, la question a même paru assez grave pour que le congrès de Berlin ait cru de voir s’en occuper. Les Israélites de la Roumanie ne sont peut-être pas beaucoup plus avancés. En Russie, dans ces dernières années, il y a eu une série de soulèvemens, de violences, d’actes meurtriers contre les juifs, menacés dans leur vie, dans leurs industries. Ces scènes, souvent sanglantes, ont pris le caractère d’une sorte de persécution organisée qui, sur bien des points, a réduit les juifs à s’enfuir, et le gouvernement, sans être le complice de l’agitation, est souvent fort embarrassé pour la réprimer, pour protéger des malheureux contre ces déchaînemens furieux de la multitude. En Allemagne même, le mouvement contre les juifs, sans se manifester par des scènes de meurtre comme en Russie, s’est réveillé et accentué dans ces derniers temps d’une manière au moins imprévue. Il a trouvé de bruyans adhérens, il s’est produit dans les polémiques, dans les réunions ; il s’est concentré dans une sorte de ligue formée pour combattre l’invasion des influences Israélites. Il y a eu, en un mot, ce qu’on appelle encore le mouvement antisémitique, et il n’est pas sûr que M. de Bismarck se soit toujours employé bien vivement à décourager cette réaction du sentiment allemand et protestant, dont il peut se servir à l’occasion comme il se sert de tout. En Hongrie, les défiances et les haines populaires contre les juifs éclatent dans un drame assez mystérieux qui se dénoue à cette heure même devant la justice et qui ressemble à quelque scène du moyen âge exhumée devant l’opinion contemporaine. Ce qui ajoute à la gravité de ce triste procès, c’est qu’il n’est qu’un épisode dans ce réveil des animosités contre les Israélites, dans ce mouvement antisémitique qui éclate plus ou moins un peu partout, même dans la paisible Suisse, dans cette honnête petite ville de Saint-Gall, où tout récemment un juif, pour avoir écrit une brochure un peu gauche sur l’exposition de Zurich, s’est vu attaqué et pillé dans sa maison. Là comme ailleurs, les manifestations se sont produites avec ces mots d’ordre : « A la porte les juifs ! Chassons les juifs ! » De sorte que, dans bien des pays aujourd’hui, sans parler même de la Suisse et de ses petites échauffourées, en Autriche, en Allemagne, en Russie, la guerre au sémite a recommencé avec une intensité caractéristique et contagieuse.

Oui, certes, c’est un fait étrange qu’au, déclin du siècle, quatre-vingt-