peut, du moins, sortir à demi de cette situation embarrassée, revenir à un certain ordre, et c’est la raison qui décidera sans doute le vote du parlement.
Au fond, ce qui a fait tout le mal, ce qui a contribué à développer, à aggraver cette crise où l’on se débat aujourd’hui, d’où l’on cherche à sortir, c’est que, depuis longtemps, on semble avoir perdu les notions les plus simples de l’ordre, de la régularité. Les garanties traditionnelles de légalité et de correction dans les affaires financières ne comptent plus pour rien. On gouverne les finances avec des fantaisies, avec des passions ou des calculs de parti, comme on gouverne tout le reste. On se complaît dans un arbitraire commode qui se prête à tout, et rien, certes, ne le prouve mieux que cette discussion bizarre qui s’est produite, il y a quelques jours, en pleine chambre des députés, au sujet d’un chemin de fer entrepris au Sénégal. Quelle sera l’utilité, quelle est l’opportunité d’un chemin de fer conduisant sur les bords du Niger ? Ce n’est pas même pour le moment la question ; mais ce sont les procédés qui sont réellement étranges et surprenans. On demande des fonds, on fait voter des crédits sans savoir vraiment, où l’on va, où l’on pourra être entraîné. On a déjà dépensé 16 millions pour 16 kilomètres, et même en défalquant 5 ou 6 millions, affectés à la construction de quelques ouvrages militaires, le chiffre est encore respectable. Il reste quelque 120 kilomètres à construire : que coûteront-ils ? La dépense sera-t-elle de 25, de 30, de 50 millions ? On serait en vérité bien embarrassé pour le dire. M. le président du conseil est le premier à convenir que « les devis primitifs n’ont pas été exactement établis. » N’importe, ce ne sont là que de petites considérations ; on veut aller au Niger, on engage à tout hasard la dépense qui deviendra ce qu’elle pourra, et pour couronner le tout, un des défenseurs du projet, M. Maurice Rouvier, ne cache pas « qu’une entreprise de cette nature ne peut être menée à bonne fin sans qu’il y ait une certaine dose d’aléa, un certain coulage, même un certain gaspillage. » Voilà qui est rassurant pour nos finances ! M. Rouvier a certes raison de dire qu’il est plus difficile d’ouvrir une voie ferrée dans l’Afrique centrale qu’entre Paris et Saint-Cloud ; mais il y a une chose qui pourrait être facile si on le voulait : ce serait de respecter les garanties d’une administration régulière, de ne pas engager à tout propos le parlement sans qu’il le sache, de ne pas jeter le pays dans des aventures financières ou militaires qu’il apprend quelquefois par hasard, dont il n’a pas connu le commencement et dont il ne peut pas entrevoir l’issue. C’est parce qu’on a trop oublié depuis longtemps cette règle si parfaitement simple qu’on se réveille aujourd’hui au milieu de complications qui sont, après tout, l’œuvre de l’esprit d’aventure et d’arbitraire appliqué aux affaires de finances comme aux affaires de diplomatie. Qu’on remarque bien, en effet, que ce n’est pas seulement à propos du Séné-