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d’étranges caprices dans le vocabulaire de, Mlle Arnaud ; elle n’hésite pas à dire un « affût de mitraille » pour fournir une rime à « bataille, » — à écrire que le canon « dénombre » des soldats pour signifier qu’il diminue leur nombre, — à nous montrer dans une note Condé « marchant devant lui ; » mais ces taches qu’il est facile de noter, il serait facile de les enlever ; elles ne me fâchent qu’à moitié dans l’ouvragé d’une femme. Ce qui m’irrite davantage, c’est, vers la fin surtout, un débordement de phraséologie romantique ; c’est le décousu, la fausse familiarité des derniers discours d’Élise et de Condé ; c’est les « Oh ! » les « Ah ! » les « Tiens ! « les « Va ! » les « Dis ! « les » Voilà ! » les « Vois-tu ! » les « Voyons ! » les « Mon Dieu ! » les « Je sais bien ! » les « Comme si ! .. « les « Allons donc ! » jetés et prodigués, comme autant d’accens d’éloquence dans ce suprême entretien de Louis de Bourbon et de sa fiancée. Je consens, puisqu’un poète de génie m’y forcé, que ces agrémens divers entrecoupent les adieux de Marion Delorme et de Didier, ce personnage de fantaisie ; je suis gêné de les retrouver sur les lèvres du grand Condé. On m’objectera qu’un auteur parle toujours la langue de son temps, et que Racine prête à l’empereur Titus le style d’un honnête prince du XVIIe siècle : ainsi Mlle Arnaud peut prêter à Condé les interjections qu’emploie M. Meurice ou M. Vacquérie quand il est ému. J’entends bien ; mais je ne me figure pas d’une façon trop présente quel était le langage ordinaire de Titus et de sa cour, de sorte que le style de Racine ne m’incommode pas ; tandis que je me représente à peu près l’entretien de Condé avec ses amis, de sorte que le style de Mlle Arnaud, en quelques passages, m’exaspère. Je supporte sans malaise que Titus ou Bérénice ordonne trop magnifiquement ses périodes ; il me déplaît qu’Élise du Vigean dise à Louis de Bourbon :


Est-ce qu’on y songeait seulement ? .. Vous, blâmé ?
Allons donc, monseigneur ! vous, bravé, diffamé ?
D’autres que vous avoir la faveur de la reine ?
Comme s’il en était d’autres ! .. Mon Dieu, Turenne,
Il est défait là-bas !


Ces phrases désossées, hachées pour inviter à simuler l’émotion l’actrice qui doit, en les disant, faire palpiter sa gorge, tout ce pathétique des points d’exclamation, des points d’interrogation et des points de suspension me choque plus qu’un barbarisme dans la bouche de la fiancée de Condé. Que dire de cette réplique du prince :


Voyons, enfin ! c’est du vertige ! ..