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eût présenté cette pièce, le 19 mai, pour le deux-cent-quarantième anniversaire de la bataille de Rocroy. Mlle Arnaud, justement, a voulu tourner nos arrière-pensées et désarmer nos réserves : elle s’est aperçue, — le mot de comédie en témoigne et ne peut avoir ici d’autre sens, — qu’elle avait réduit un sujet de tragédie historique aux mesures d’un à-propos.

La toile, en se levant, découvre un de ces tableaux que l’administrateur de la Comédie-Française excelle à composer, un tableau que tel ou tel des personnages, s’il passait dans la salle, déclarerait « fait à souhait pour le plaisir des yeux. » La scène représente les jardins de l’hôtel de Rambouillet ; on ne sait que louer davantage de la fraîcheur du décor ou de cette belle ordonnance de dames et de cavaliers. Voici, entourée de sa cour, la majestueuse Catherine de Vivonne :


Eh bien ! quoi de nouveau, monsieur de Bassompierre ?


demande-t-elle pour commencer. « Tout ! madame, » répond le maréchal ; et, en effet, il passe en revue, dans un discours lestement tourné, les nouveautés politiques du jour. Il nous apprend ainsi à quel point de l’histoire de France nous en sommes. C’est au lendemain de la mort de Louis XIII, alors que les disgraciés de l’avant-veille accourent vers la régente : « La reine est si bonne ! » Elle est bonne surtout pour ceux de Beaufort et de sa cabale, ceux, dit la marquise,


Qu’on appelait hier les mécontens,
Et qu’il faudra demain nommer les Importans !
— Ah ! le mot restera, marquise !


s’écrie Voiture : — en effet, le mot est resté ! — Mais on ne s’occupe pas seulement des intrigues de la cour ; on s’inquiète de l’armée qui marche contre les Espagnols et de son chef, le jeune duc d’Enghien, ou plutôt, comme on l’appelle déjà, Condé. « Il est jeune, Condé ! » dit avec une désinvolture plaisante le vieux Bassompierre ; et la marquise de répondre : « Le Cid avait vingt ans ! » La marquise, M. de Montausier, M. de Tréville, tous ceux qui sont là, hormis ce fâcheux de maréchal, forment des vœux pour le fils de M. le Prince ; une jeune fille qui ne dit mot, Élise du Vigean, prie plus ardemment que tous. Elle aime Louis de Bourbon, elle est aimée de lui ; mais il est prince du sang, elle est de petite noblesse ; leur tendresse n’a que peu d’espoir et s’est tenue secrète. C’est un amour pur et généreux ; la marquise l’encourage, et c’est la main d’Élise qu’elle saisit lorsqu’on annonce un des compagnons d’armes du prince, M. de La Moussaye.

Il arrive de Rocroy, ce La Moussaye, comme le soldat de Marathon ; mais, plus heureux, il n’expire pas. Il garde encore assez de souffle pour faire un récit de la victoire, qui se peut écouter encore après celui