brèches. La porte du théâtre ne s’est pas encore refermée sur Mlle Isaac, que déjà, sort d’une trappe Mlle Nevada, un vrai démon de féerie ; étrange, singulier, fulgurant et même inquiétant pour la diversité de ses qualités et de ses imperfections. Demain, peut-être, ce sera du génie ; en attendant, c’est du phosphore, et le public extasié la porte aux nues. Nous l’entendrons bientôt dans Mignon, quelle étudie en ce moment, avec M. Thomas, mais à n’en juger que d’après la Perle du Brésil, l’organisation est merveilleuse : aptitude vocale, foyer d’inspiration, plasticité instinctive du geste et du mouvement : une Malibran in nuce, pourvu que tout cela se fonde, s’harmonise, et qu’un tantinet de prononciation française lui soit communiqué par cette atmosphère élogieuse et glorieuse où déjà elle nage !
Mlle Nevada nous arrive du nouveau-monde par l’Italie. ; ainsi la vieille Europe musicale aura désormais son école de chant américaine. Comptons un peu : la Patti d’abord, puis l’Albani, Marie Van Zandt et miss Nevada. Il est vrai que jusqu’ici, nous n’avons eu que le côté des femmes ; espérons qu’il nous sera fait grâce des ténors et des barytons. Tant de petits défauts peuvent ne point trop déplaire chez une très jeune personne, qui deviendraient insupportables chez un homme : de ce nombre, l’accent, dont Mlle Van Zandt et Nevada usent chacune à leur manière et, le dirai-je ? non sans charme. Je prends comme exemple ces quatre mots de la légende de Lakmé « dans les grands mimosas. » Il semble que, par la profusion de ses accens circonflexes, Mlle Van Zandt en double ; l’expression, ou plutôt qu’elle donne, à cette expression je ne sais quoi de vague et d’exotique qui sied à la fantaisie du tableau.
Le talent de Mlle Van Zandt se compose ainsi de mille riens que le public s’amuse à mettre en valeur et dont on fera bien de profiter pendant qu’ils réussissent. Chez Mlle Nevada, l’art tient plus de place ; elle sait chanter, la voix est petite, mais sonore et bien posée, et, sur le chapitre des difficultés, les collectionneurs de points d’orgue peuvent accourir ; elle a dans sa chanson « du Mysoli » un trille sur l’ut et le ré suraigus suivis d’un contre-mi qui réduirait au silence les fameuses notes piquées de Mlle Van Zandt dans Lakmé, si le public continuait d’encourager ces deux pinsons à s’entre-égosiller dans un duel à mort. Sans vouloir jouer le moins du monde le rôle barbare des parieurs hollandais, ni provoquer aucune ombre de rivalité entre ces deux voix, on aimerait à les étudier dans leurs affinités et surtout dans certains traits particuliers aux cantatrices américaines ; voix blanches, voix d’enfant, d’une fraîcheur exceptionnelle, mais qui, à la première fatigue, montrent la corde. Tout leur capital est placé sur les notes hautes, et leur médium n’a de timbre que dans les pianissimo. Là, par exemple, le son devient exquis, mais presque