Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/448

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous recevrons de Londres ou de Berlin la nouvelle qu’on y monte les Pêcheurs de perles ; et peut-être alors nous aviserons-nous à notre tour d’y aller voir. Quand Herold fut mort en nous léguant ses deux chefs-d’œuvre, on s’enquit aussitôt de tout ce qu’il avait produit auparavant, et l’Opéra-Comique reprit Marie et le Muletier ; il en sera de même pour Bizet, dont les premiers ouvrages devront tôt ou tard nous renseigner sur les débuts d’un tel artiste. En attendant, souhaitons que Carmen me sorte plus du répertoire, et tâchons de profiter de la leçon que l’étranger nous a donnée là.

La meilleure manière de réparer nos torts envers cette musique serait d’en surveiller soigneusement la mise en scène. L’exécution actuelle est satisfaisante, mais rien de plus ; quelques-uns ont regretté l’ancienne distribution. Il y avait à cette époque une actrice qui brûlait les planches et ne reculait devant aucune audace : Mme Galli-Marié fut en personne la Carmen de Mérimée, et je puis dire aussi de Bizet ; car elle avait, pour triompher d’une mauvaise voix, son diable au corps et son instinct de musicienne. Auteurs, artistes et critiques, tous lui firent fête dans ce rôle, tous, hormis le public de l’endroit, qui s’émut de pudeur et de cant aux mines décidément trop délurées du personnage. Partout ailleurs, Mme Galli-Marié eût sauvé la pièce ; à l’Opéra-Comique, elle en compromit le succès, et voici Mlle Isaac qui nous en apporte aujourd’hui une édition expurgée ad usum delphini ; la couleur locale y perd sans doute quelque peu, mais la musique y gagne en proportion. Mme Galli-Marié jouait, parlait, brûlait le rôle, Mlle Isaac le chante ; elle y va posément, sûrement, d’une voix qui ne triche ni ne bronche et dont le medium vous charme. Elle restitue l’accent pathétique à cette large phrase du grand duo du second acte, comme du reste à toute la partie vocale. Je me demande néanmoins si Bizet serait content et ne se plaindrait pas qu’on lui ait changé sa Carmen ? Peut-être bien aussi regretterait-il son ténor des anciens jours ; à mesure que les formes dramatiques se sont agrandies, il semble que la taille des ténors ait diminué, et tel artiste qui d’ailleurs suffit au répertoire, produit l’effet d’un chanteur d’opérettes quand vous le mettez dans le Pardon de Ploermel ou dans Carmen. En revanche, l’orchestre est excellent, M. Léo Delibes écrivait « incomparable, » dans une lettre qu’il adressait à son chef M. Daubé le lendemain du succès de Lakmé, et tout en faisant la part de ce que peut contenir d’entraînement élogieux un manifeste de victoire, il demeure impossible de contester, après Lakmé, après Carmen, après la Perle du Brésil, la très réelle supériorité de cet orchestre.

Le nom que je viens de prononcer me serait une transition toute naturelle pour passer à Lakmé ; je préfère intervertir l’ordre du programme et commencer par la Perle du Brésil, m’appuyant sur cette