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Je suis entré à la chapelle, j’ai entendu le bruit des béquilles sonnant sur les parquets ; c’étaient les pensionnaires qui venaient prendre place. Lorsque le nonce apostolique a élevé le saint sacrement pour donner la bénédiction, l’orchestre a éclaté, les tambours ont battu aux champs, les clairons ont retenti : trop de fanfares dans l’église de Saint-Jean-de-Dieu, du saint qui eut tant de douceur ; cela m’a choqué. Quand le salut, a été terminé, on s’est réuni dans la grande salle, où les frères ont apporté sur leurs bras les impotens qui ne peuvent marcher. « L’harmonie » nous a donné un concert très bien dirigé par M. Josset. La fonction de chef d’orchestre, en pareille circonstance, n’est point facile ; il faut battre la mesure par les gestes pour les voyans en faisant claquer les doigts pour les aveugles. Tout a été à souhait, et c’est avec sincérité que l’on a pu applaudir.

Pendant que l’on était en joie, je me suis esquivé ; j’ai gravi l’escalier jusqu’au dernier étage, j’ai pénétré dans la communauté, c’est-à-dire dans le quartier exclusivement réservé aux frères. Au-dessus de la porte, un seul mot : Silence ! Au mur du corridor étroit qui sépare les cellules placées vis-à-vis l’une de l’autre, je vois une pancarte, et je lis le nom des frères de Saint-Jean-de-Dieu qui sont morts en profession ; la liste est longue ; trop de fatigues accablent ces infirmiers de la charité ; ils meurent rapidement, comme ils ont vécu, pleins de foi et vêtus du scapulaire. Les chambres sont petites ; les détenus de Mazas seraient mécontens s’ils étaient logés de la sorte ; une couchette maigrelette, un buffet-armoire, une table de bois blanc, une terrine, un pot pour la toilette ; à la muraille quelque image de piété qui est un souvenir de la famille ou l’indice d’une dévotion particulière. L’on a fait vœu de pauvreté, cela se voit, vœu de ne rien conserver et de tout donner aux infirmes. A quatre heures du matin, on se lève, et l’on se couche à dix heures du soir après avoir besogné tout le jour. Chaque nuit, un frère veille et porte secours aux enfans qui peuvent réclamer ses soins. « La journée passe vite, me disait un frère ; nous n’avons pas le temps de nous ennuyer. » Jean de Dieu avait coutume de répéter : « Faites le bien ! » Cette parole n’a pas été prononcée en vain ; elle vibre dans le cœur de ses disciples : on s’en aperçoit à leurs œuvres.


MAXIME DU CAMP.