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qui les fortifie et les amuse. Être privé de bain, c’est une punition grave, mais comme elle est contraire à l’hygiène, on ne l’applique que dans les cas exceptionnels. En hiver, ces bains, qui sont aussi des bains d’air et de soleil, sont remplacés par des bains d’eau de Barèges, administrés dans une immense salle très bien aménagée.

La maison est disposée de telle sorte que la surveillance peut y être incessante ; il est facile de voir ce qui se passe dans les quartiers d’étude et dans les dortoirs. La précaution n’est pas superflue, car il n’y a pas seulement des difformités physiques à l’asile : on y soigne les corps et l’on tâche d’y nettoyer les âmes. L’infirmerie même n’échappe point à cette inspection permanente. Elle contient beaucoup de lits ; quatre ou cinq seulement étaient occupés lorsque je l’ai visitée. Deux ou trois petits enfans atteints de coxalgie semblent condamnés à l’horizontalité perpétuelle. J’en ai avisé un dont les mains et les ongles très propres indiquaient l’oisiveté ; je lui ai dit : « Depuis combien de temps es-tu couché ? » Il m’a répondu : « Depuis trois ans. » Un autre, un blondin, presque transparent à force d’être pâle, tenait à bras-le-corps un frère hospitalier qui lui peignait la tête. Près de lui, sur une chaise, était assis ou plutôt écroulé un grand garçon d’une jolie figure qui me regarda avec une indéfinissable tristesse ; le cou, troué d’ulcères sanguinolens, a repoussé la tête presque sur l’épaule ; la poitrine est étroite ; la main noueuse a des ongles bombés, de cette forme à laquelle Hippocrate a donné son nom : encore un peu et il sera délivré. On venait d’apporter et de déposer sur un lit un enfant qu’une attaque avait abattu ; la névrose s’ajoute aux scrofules ; le visage est convulsé, il y a de la bave visqueuse et rosée aux bords des lèvres : c’est un épileptique ; on le rendra à ses parens, qui le conduiront à la maladrerie de Bicêtre ; il y regrettera la maison des frères de Saint-Jean-de-Dieu.

Les petits malades s’occupent dans leur lit et tâchent de tuer le temps avant que le temps les tue : ils découpent des cartonnages, ils assemblent des jeux de patience, ils lisent des historiettes qui les enlèvent au milieu ou ils sont immobilisés et les font rêver à des choses merveilleuses. Il faudrait envoyer là des livres, beaucoup de livres où ces petits trouveraient quelque pâture pour leur intelligence, quelque distraction à l’ennui qui pèse sur eux dans le lit qu’ils ne peuvent quitter. Mais ces livres, il est indispensable de les bien choisir ; le révérend père supérieur se souvient que Jean Ciudad, libraire à Grenade, a déchiré ses livres profanes ; il l’imite et détruit tout volume dont l’orthodoxie ne lui semble pas irréprochable. Je note le fait en guise d’avertissement aux donateurs, car je suis de ceux qui ne croient pas aux dangers du livre ; malgré