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théâtre ou dans quelque guinguette, et en échange, il ramassera de quoi subvenir à ses besoins. Les métiers dont ils font l’apprentissage à l’asile sont très restreints, car ceux qui exigent un peu de force leur sont interdits par leur faiblesse même ; il leur faut des métiers sédentaires, — ils ne peuvent marcher ; — des métiers assis, — ils ne peuvent rester debout ; on prend les plus valides pour en faire des tailleurs, des cordonniers et des brossiers. Parmi ceux-ci j’ai vu un petit bonhomme biscornu qui bouclait lestement le fil d’archal sur la « patte, » assemblait le pinceau de soies et troussait une vergette avec la rapidité et l’aplomb d’un vieil ouvrier. Celui-là, a son pain assuré. Les tailleurs et les cordonniers travaillent pour leurs camarades ; ils rapiècent les uns, rapetassent les autres. L’atelier de brosserie est affermé à un entrepreneur qui fournit la matière première ; il produit par année un millier de francs qui sont versés et dépensés à la maison.

Autrefois, on ne conservait les pensionnaires à l’asile de la rue Lecourbe que jusqu’à l’âge de dix-huit ans ; ils avaient alors atteint leur développement possible. Ils avaient reçu quelque instruction, ils étaient dégrossis ; l’Assistance publique les acceptait et les admettait à l’Hospice des incurables. Par suite de mesures récemment adoptées et qu’il me paraît difficile de justifier, l’Assistance publique leur a fermé ses portes. On ne peut rejeter ces malheureux sur le pavé et les réduire à étaler leurs difformités dans les rues pour exciter la compassion des passans ; on les garde, on continue à les soigner, à les héberger, à les nourrir, au grand détriment des petits enfans rongés de maux dont ils occupent la place. L’asile a déjà été agrandi, il faudrait l’agrandir encore. Hélas ! on ne peut visiter une maison hospitalière sans former le même vœu. Quel que soit le nombre, quelle que soit la dimension des asiles, quel que soit le genre d’infortunes que l’on y recueille, il y aura toujours des malheureux qui attendront à la porte. Les jeunes gens qui restent en hospitalité se rendent utiles dans la maison autant que leur infirmité le leur permet ; ils aident à surveiller les petits, ils donnent un « coup de main » à la cuisine pour éplucher les légumes ; clopin-clopant, trébuchant à chaque pas, ils essaient de ratisser les allées du jardin, et ils tendent les cordes au-dessus de la piscine quand vient la saison des bains ; voici les mois d’été, on va pouvoir se baigner. Dans un coin du jardin, non loin de la vacherie, dans un endroit bien choisi que nulle construction ne domine, un grand bassin en ciment de Portland est alimenté par l’eau que vend la préfecture de la Seine. Tous les jours, pendant les heures chaudes, on y mène les enfans, ils mettent à nu leurs gibbosités, leurs déformations, leurs ankyloses et, sous la surveillance d’un frère, ils barbotent dans cette eau fraîche