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c’est-à-dire à partir du IVe siècle, qu’avec tout le monde les artistes chrétiens ont perdu le sens des choses et en ont oublié l’esprit pour tomber dans les représentations littérales des faits matériels. C’est raisonner, semble-t-il, au rebours de la logique et contre les données de l’expérience commune. L’esprit humain ne va pas de l’abstrait au concret. L’abstraction est mortelle à l’art, et le dessein supposé de donner une forme vivante et visible aux idées pures et aux notions théologiques donne naissance à d’indéchiffrables logogriphes. Le système allégorique suppose un raffinement de culture, une éducation philosophique qui n’était pas chose commune dans les trois premiers siècles parmi les fidèles. Ce n’est que tard que la réflexion tourmente les faits et les simples récits, y cherche et y trouve des abîmes où la grosse masse ne descend guère. La pensée chrétienne, à sa première éclosion, ne songea pas à voir dans les histoires de l’Ancien-Testament ni du Nouveau tant de subtils mystères. Les premiers peintres et les premiers sculpteurs qui les ont représentées n’ont eu d’autre visée que de leur donner une forme visible et saisissable aux yeux. En admettant même que les faits et épisodes plastiques de l’Ancien-Testament, qui sont la matière ordinaire et, si l’on peut dire, classique de leurs représentations, eussent été reçus partout dans l’église comme figures du Nouveau, les peintres et les sculpteurs des catacombes ne les reproduisaient pas moins tels qu’ils étaient racontés ou décrits, chacun selon son talent d’expression et les ressources de son art. S’ils allégorisaient alors, c’était sans le savoir ; s’ils symbolisaient, c’était de seconde main et par contrecoup. L’idée proprement chrétienne était moins dans leur œuvre, traduction naïve et forcément matérielle d’un récit, que dans la pensée de ceux qui avaient commandé la scène ou de ceux qui la contemplaient. S’ils symbolisaient effectivement, comme quand ils peignaient Susanne entre les deux vieillards sous la forme d’une brebis entre deux bêtes féroces, ils en avertissaient par des inscriptions. Qui soutiendra que, dans leur intention, il y eût là symbole sur symbole, que la brebis inscrite par le peintre sous le nom de Susanne dût signifier l’église, et les deux bêtes féroces appelées par lui les vieillards, la force et la ruse ?

Quant aux faits et aux paraboles du Nouveau-Testament, pourquoi les artistes auraient-ils cherché des allégories dans les premiers et donné un sens nouveau aux secondes ? Ils se bornèrent à traduire les uns et les autres à l’aide de formes appropriées par le pinceau ou le ciseau. Les miracles de l’évangile, comme le changement de l’eau en vin aux noces de Cana, ou la multiplication des pains, étaient-ils donc des symboles et non des faits reçus comme tels par tous les fidèles ? Les paraboles étaient-elles donc dans la